Page:Walras - Introduction à l'étude de la question sociale.djvu/15

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L’appropriation des choses par les personnes est un fait essentiellement libre, essentiellement susceptible d’être envisagé comme un fait moral. Il devient ainsi le fait de la propriété et tombe directement sous la juridiction de la loi sociale supérieure, de la formule suprême de la société. Il en est du fait de la valeur d’échange tout autrement. Le rapport d’utilité qu’il y a entre nous et les choses est un fait naturel en ce sens qu’il dépend de la nature que nos besoins soient de telle ou telle sorte, et que les choses puissent ou non les satisfaire plus ou moins. La rareté des choses est de même un fait fatal en ce sens qu’il ne dépend pas de nous que certaines choses se trouvent dans le monde en quantité limitée au lieu d’y être en quantité indéfinie, ou réciproquement. Il est vrai qu’en un autre sens, il nous est possible d’augmenter, de créer même l’utilité des choses, d’en diminuer la rareté par le travail. Mais cela est un autre point de vue que celui qui nous occupe : ce n’est ni le point de vue du vrai, ni celui du juste : c’est le point de vue de l’utile ; ce n’est plus le point de vue de la science : c’est le point de vue de l’art. Placés comme nous sommes, nous devons considérer le fait de la valeur d’échange comme un fait naturel qui échappe à la formule sociale.

Ces résultats, il me semble, sont assez clairs. Parmi les faits économiques, nous trouvons le fait de la valeur d’échange et le fait de l’échange qui sont, dans leur essence, des faits naturels tout comme les faits de la chaleur, de la maladie. Ceux-là sont l’objet primitif et direct de l’économie politique, science naturelle et tout aussi indépendante de la justice que la physique ou la pathologie. Nous trouvons ensuite le fait de l’appropriation ou de la propriété qui est un fait moral et dont la théorie spéciale, à ce titre, rentre jusqu’à un certain point dans la théorie générale de la société. La science sociale aura donc à se comporter, à l’endroit du fait de la propriété, de la façon que nous avons exposée ; c’est-à-dire que la formule sociale étant connue rationnellement, il reste à l’appliquer à la propriété telle que l’observation et l’expérience nous la révèlent ; c’est-à-dire, en d’autres termes, que les conditions purement morales de la propriété étant déterminées par le droit naturel, il reste à en énoncer les conditions sociales.

Ainsi, selon nous, devraient se déterminer les conditions sociales de la propriété. De la même façon se détermineraient