Page:Walras - Introduction à l'étude de la question sociale.djvu/3

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J’accepte volontiers la démonstration qu’il a donnée de cette proposition pour ce qu’elle était, c’est-à-dire sans réplique ; et lui en laissant tout ensemble l’honneur et la responsabilité, j’en tire une conséquence qui m’est propre.

Si l’exiguïté pitoyable du salaire des ouvrières provient de ce que ces ouvrières manquent tout à la fois d’instruction élémentaire et d’instruction professionnelle, le seul remède à état de choses serait qu’elles pussent acquérir cette double instruction dont elles sont privées. Or, il est évident que ce remède n’est point entre leurs mains ; que l’exiguïté même de leur salaire leur défend toute instruction ; que par conséquent, la misère les condamne, de mère en fille, à la misère.

Voilà pour ce qui concerne les ouvrières. Mais un seul fait de cette nature n’est-il pas suffisant pour ouvrir les yeux à des philosophes ? Et ne se pourrait-il pas qu’il y eût, dans la société, des classes ainsi vouées à la pauvreté de génération en génération, de telle sorte qu’il fût impossible d’attendre l’extinction du paupérisme de la seule initiative individuelle des malheureux qu’il écrase, en dehors de toute intervention de la science et de la loi, de toute action du progrès social ?

Allons au fait.—Y a-t-il, dans notre société, d’autre misère que celle qui résulte logiquement de la paresse, de l’inintelligence ou des revers de la fortune ? Y a-t-il d’autre richesse que celle qui prend légitimement sa source, à quelque degré que ce puisse être, dans le travail, dans le talent ou dans le succès, et proportionnellement à ces causes ? Sans désordre, en sauvegardant intégralement les droits naturels et sacrés de la propriété, de la famille, ne pourrions-nous approcher davantage de l’esprit de la justice sociale exprimé poétiquement par ce mot admirable de Platon, principe de toute égalité vraie, formule de toute démocratie rationnelle : —N’empêchez pas les fils des esclaves de s’élever au rang des rots ; n’empêchez pas les fils des rois de tomber au rang des esclaves ?

C’est ainsi que se pose la question sociale. On me rendra, je l’espère, cette justice d’avouer que je la présente en termes suffisamment abstraits de toute réalité brutale, pour dire le mot, en termes suffisamment scientifiques. Je fais mon possible pour fermer tout accès aux exagérations du sentiment, comme aux erreurs de l’empirisme, pour maintenir intacts les droits de la raison et de la méthode. Comme précisément je