Page:Walras - Introduction à l'étude de la question sociale.djvu/4

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poursuis avant tout la certitude philosophique, on me permettra de m’appesantir sur la valeur de ces précautions.

En présence des faits déplorables constatés par l’observation, il s’est rencontré des socialistes pour conclure, en termes éloquents, du paupérisme à l’anéantissement, ou, tout au moins, au renouvellement complet de la société : Rousseau le premier de tous, Rousseau le père du socialisme sentimental, Rousseau si sincère et si déraisonnable, si pathétique et si dangereux, Rousseau qu’on ne lit guère, avec un cœur chaud, à vingt ans, sans pleurer, ni plus tard, avec quelque expérience, à vingt-cinq ou trente, sans sourire ou sans frémir ; vingt autres après lui.—« De malheureuses créatures gagnent, en un jour de travail, soixante centimes ! Plus d’état social ! Ou, tout au moins, que l’état social soit réorganisé de fond en comble ! »

Ces exagérations sont puériles. Quant à ce qui serait d’abord de rompre le pacte social pour en revenir à l’état de nature, c’est une fantaisie chimérique et irréalisable, parce qu’il n’y a point eu d’état de nature et qu’il n’y a point de pacte social. La société n’a point une origine constitutionnelle, mais une origine naturelle. La première de ces deux opinions, et la plus superficielle, fut celle des philosophes du siècle dernier qui tous aimèrent à se figurer la société comme un contrat librement consenti entre tous les citoyens, et ne manquèrent pas de rapporter à ce point de vue leurs essais de morale sociale. Les sciences en enfance ont une tendance à se faire plutôt spéculatives qu’expérimentales. C’est avec raison qu’on reproche de nos jours aux théoriciens du XVIIIe siècle d’avoir émis une hypothèse aussi peu conforme à l’observation psychologique qu’à l’histoire de la civilisation.

Les publicistes de notre époque voient dans l’état social un fait naturel ; et la sociabilité, suivant eux, est un trait caractéristique, essentiel de l’espèce humaine, comme la liberté.—« L’homme hors de la société, dit M. Vacherot, est un être imaginaire, une abstraction L’homme vrai, l’homme réel est celui qui vit en société et par la société. Aussi haut que remonte l’observation historique,elle découvre des races, des nations,des peuplades, des tribus, jamais d’individus…Cela posé, l’individu n’entre pas dans la société avec la parfaite connaissance de ses droits et de ses intérêts, comme une personne libre qui stipule tout d’abord la garantie des uns et des