Page:Walras - Introduction à l'étude de la question sociale.djvu/61

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peut-être d’un coup d’œil jeté rapidement sur la confusion des idées à l’endroit de la question sociale.

Interrogeons-nous à ce sujet l’esprit public, nous enquérons-nous des dispositions de la foule à l’endroit du progrès économique, nous trouvons d’abord au dernier degré de l’échelle intellectuelle et morale, une tourbe innombrable de gens aussi dénués d’aspirations généreuses que d’idées originales. Ceux-là ne se doutent pas qu’il existe une question sociale. Et comment le sauraient-ils ? Indifférents à tout ce qui ne se rapporte pas directement au train-train de leur besogne, ignorants de tout ce qui sort du cercle de leur routine, un ramassis de lieux communs suffit à leur constituer une morale à la hauteur de leurs facultés. Toute idée qui, née d’hier, n’a pour garant que le génie d’un penseur est à leur sens une utopie ; toute ineptie qui s’étaye de la pratique universelle est à leurs yeux un axiome. Ils voient le droit dans la légalité, non par calcul et par astuce, mais par insouciance et par sottise. Ils ont ouï dire qu’il y avait des philosophes et des savants ; ils ne savent point qu’il y a une science et une philosophie. Le progrès matériel les étonne et les confond ; mais ils n’en admirent que les résultats sans en rechercher les origines. Ils ignoreront toujours que la pratique industrielle naît de la théorie scientifique, que la théorie scientifique naît elle même des spéculations de la philosophie, que la locomotive et le télégraphe électrique procèdent en ligne directe du Novum Organum de Bacon. Ils ne se persuaderont jamais non plus que les réformes politiques et sociales sont l’accompagnement obligé du développement du bien-être. Ils ont des opinions : les uns les ont reçues en dot de leur beau-père, les autres les ont prises en même temps qu’un faux titre de noblesse.

Tels ils sont lorsque leur personnalité n’est point en jeu, lorsque les intérêts de leur fortune, de leur vanité, de leur ambition ne sont point directement froissés ou seulement mis en péril par les efforts du progrès. Supposez-les en place, influents, leur sottise insouciante devient une méchanceté tout agressive ; ils sont moins indifférents et plus égoïstes, moins ignorants.et plus sceptiques ; en somme toujours immoraux et dangereux. Une grande étroitesse d’esprit, quelque bassesse dans les sentiments, voilà ce qui les caractérise. C’est l’un d’eux sans doute qui, fatigué des agitations politiques de son