s’applique et ceux où il ne s’applique pas. Et, réciproquement, ce sera sans doute une bonne preuve que le principe de la libre concurrence n’est pas démontré, que les économistes l’aient souvent étendu au-delà de sa portée véritable. Ainsi, par exemple, notre démonstration, à nous, du principe de la libre concurrence repose, comme sur une première base, sur l’appréciation de l’utilité des services producteurs et des produits par le consommateur. Elle suppose donc une distinction fondamentale entre les besoins individuels, ou l’utilité privée, que le consommateur est apte à apprécier, et les besoins sociaux, ou l’utilité publique, qui s’apprécient d’une toute autre manière. Donc le principe de la libre concurrence, applicable à la production des choses d’intérêt privé, ne l’est plus à la production des choses d’intérêt public. N’y a-t-il pas cependant des économistes qui sont tombés dans cette erreur de vouloir soumettre des services publics, comme ceux des travaux publics, de l’instruction publique, à la libre concurrence en les remettant à l’industrie privée ? Autre exemple. Notre démonstration repose, comme sur une seconde base, sur le nivellement du prix de vente et du prix de revient des produits. Elle suppose donc la possibilité de l’affluence des entrepreneurs vers les entreprises en bénéfice comme de leur détournement des entreprises en perte. Donc le principe de la libre concurrence n’est pas non plus applicable à la production des choses qui sont l’objet d’un monopole naturel et nécessaire. N’y a-t-il pas cependant des économistes qui nous parlent tous les jours de libre concurrence à propos d’industries qui s’exercent naturellement et nécessairement en monopole, comme celles de l’exploitation des mines, de l’exploitation des chemins de fer ? Une dernière observation enfin, et de la plus haute importance, pour terminer sur ce point. Notre démonstration de la libre concurrence, en mettant en évidence la question d’utilité, laisse entièrement de côté la question de justice ; car elle se borne à faire sortir une certaine distribution des produits d’une certaine répartition des services producteurs, et la question de cette répartition reste entière. N’y a-t-il pas cependant des économistes qui, non contents d’exagérer le laisser-faire laisser-passer en matière d’industrie, l’appliquent encore, et tout-à-fait hors de propos, en matière de propriété ? Tels sont les dangers de la méthode littéraire substituée à la méthode scientifique. On affirme à la fois le vrai et le taux ; sur quoi il ne manque pas de gens pour nier à la fois le faux et le vrai. Et la science s’arrête indéfiniment tiraillée en sens contraire par des adversaires qui ont, les uns et les autres, raison et tort tout ensemble.
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