Page:Walter - Voyage autour du monde fait dans les années 1740, 1, 2, 3, 4, 1749.djvu/223

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à leurs Chaloupes, s’arrêtèrent et attendirent assez longtems, parce qu’ils s’apperçurent qu’il leur manquoit un homme : mais voyant que, quelques informations qu’on fît, on ne pouvoit apprendre ce qu’il étoit devenu, on se résolut à partir sans lui. Nos Gens étoient déja embarqués jusqu’au dernier, et les Chaloupes quittoient le rivage, lorsqu’on l’entendit crier de toutes ses forces qu’on l’attendit. La Ville étoit toute en feu et la fumée couvroit la Plage, de manière qu’on ne pouvoit le voir, quoiqu’on l’entendît très bien. Mr. Brett envoya une des Chaloupes au secours de cet homme, qui le trouva dans l’eau, jusqu’au cou ; car il étoit entré dans la Mer aussi avant qu’il avoit ôsé, pressé par la crainte de tomber entre les mains d’un Ennemi, rendu furieux par le pillage de ses biens, et l’incendie de ses maisons. Il avoua que la cause de son retard étoit une dose un peu forte d’eau de vie, qu’il avoit prise ce matin, et qui l’avoit plongé dans un sommeil, dont il n’avoit été tiré que par le feu qui l’avoit approché d’un peu trop près, et qui s’étoit fait sentir trop vivement. Il fut fort surpris en ouvrant les yeux de se trouver au milieu des flammes, et de voir courir ça et là des Espagnols et des Indiens. La frayeur dissipa dans l’instant son yvresse, et lui rendit assez de présence d’esprit, pour avoir l’attention de s’échapper à travers la plus épaisse fumée, pour se dérober aux yeux de l’Ennemi. Il courut de toute sa force vers le rivage, et entra dans la Mer aussi avant que le pouvoit un homme qui ne savoit pas nager ; le tout sans avoir la moindre curiosité de regarder derrière soi.

Je dois dire à l’honneur de nos Gens, que quoiqu’ils eussent trouvé grande quantité de vins et de liqueurs dans cette Ville, cet homme fut le seul, qui s’oublia au point de s’enyvrer. Leur conduite, en tout, pendant qu’ils furent à terre, fut beaucoup plus sage, qu’on n’avoit lieu de l’attendre, d’une troupe de Marins, qui avoit été pendant si longtems confinés dans un Vaisseau. Il est vrai qu’une bonne partie de cette sagesse est due à la vigilance de nos Officiers et à l’exacte discipline que Mr. Anson faisoit observer à son bord ; mais avec tout cela, il faut avouer que ce n’est pas un effort commun à des Matelots que de savoir se modérer sur l’usage des liqueurs fortes, lorsqu’ils s’en trouvent à même.

A cet exemple unique d’yvrognerie, il faut ajouter une faute d’une autre espèce, qu’un de nos Gens commit, et qui fut accompagnée de circonstances assez singulières. Un Anglois qui avoit été autrefois employé dans les Chantiers de Portsmouth, comme Charpentier de Vaisseau, et