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Page:Walter - Voyage autour du monde fait dans les années 1740, 1, 2, 3, 4, 1749.djvu/243

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claves Indiens et Nègres ; nous les gardames à bord, pour aider nos Equipages beaucoup trop foibles, à faire lа maneuvre. Ces pauvres Gens prévenus de la même opinion que leurs Maitres, étoient au commencement fort étonnés de nous voir manger de la chair de Tortue, de très bon appétit ; et s’attendoient bien que nous en sentirions dans peu de très mauvais effets. Mais voyant qu’aucun de nous n’en mouroit, et que bien loin delà nous ne nous en portions que mieux, ils s’enhardirent à en gouter, à quoi ne les porta pas peu aussi l’ennui de ne manger que des Salines.

Cependant ils n’en tâtèrent d’abord qu’avec un reste de crainte et de répugnance ; mais peu à peu ils y prirent gout, et enfin en devinrent très friands et se félicitèrent d’avoir fait un expérience, qui les assuroit de pouvoir à l’avenir faire de bons repas et à fort bon marché, si jamais ils pouvoient revenir dans leur Païs. Ceux qui connoissent la vie misérable que ces Gens mènent, savent qu’après les liqueurs fortes, la plus grande félicité qu’ils connoissent, est celle d’avoir à suffisance une nourriture passable ; d’où il suit qu’une découverte qui les assuroit pour toujours d’avoir à discrétion un mêts plus délicat que ceux que leurs Maitres se réservoient pour eux, étoit un des plus grands bonheurs qui pût leur arriver. Après cette digression, où m’ont engagé l’abondance extraordinaire de Tortues que nous trouvames à Quibo, et l’utilité dont elles nous furent, je reviens à mon sujet.

En trois jours nous eumes expédié tout ce que nous avions à faire en cet endroit, et nous étions fort impatiens de gagner les Parages où nous pouvions intercepter le Galion de Manille : mais le vent contraire nous retint encore un jour de plus, et lorsque nous fumes resortis du Port, par le même Canal par où nous étions entrés, nous fumes obligés de roder quelque tems autour de l’Ile, dans l’espérance de découvrir le Gloucester, qui s’étoit séparé de nous à notre arrivée, comme je l’ai dit dans le Chapitre précédent. Ce fut donc le 9 de Décembre au matin, que nous mimes en Mer, et que nous rangeames l’Ile vers le Sud, en quête du Gloucester. Le 10 à cinq heures du soir, nous découvrimes un petit Bâtiment, au Nord de nous : nous lui donnames chasse et le primes. C’étoit une Barque de Panama, destinée pour Cheripe, petit Village sur le Continent. Elle s’appelloit Jèsu. Nazaréno, et n’avoit à bord qu’un peu de fil de Caret, un tonneau de sel de roche, et 30 à 40 L. St. en monnaie destinée à l’achat d’une Cargaison de vivres qu’elle devoit charger à Cheripe.