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lant que nos saintes Écritures nous recommandent de croire plutôt le bien que le mal, et je me donnais d’autres raisons charitables et chrétiennes, qui malheureusement profitent plus aux filous qu’aux honnêtes gens.

Depuis, j’ai pensé bien souvent que le premier précepte du catéchisme devrait être : Ne vous laissez pas tromper par les hypocrites !

Enfin, je m’en allais, espérant toujours que les thalers viendraient et que nous pourrions acheter de nouvelles provisions, dont le besoin se faisait de plus en plus sentir.

Les choses en étaient là, quand un beau matin les gendarmes de la poste s’arrêtèrent à notre porte.

« Ah ! ah ! me dis-je tout joyeux, voici ce que nous attendions avec tant d’impatience. »

En effet, un de ces militaires, le casque en tête, agitait une grande lettre carrée couverte de cachets rouges et criait :

« N’est-ce pas ici que demeure Frantz Hirthès ? »

Il paraît que notre homme avait aussi vu les gendarmes de sa fenêtre en haut, car nous l’entendîmes descendre l’escalier quatre à quatre, traverser l’allée en courant et répondre :

« Frantz Hirthès, c’est moi ! »

Le gendarme lui remit la lettre ; mais il fallut entrer dans la salle pour signer un petit cahier que le brigadier portait dans sa gibecière.

À peine celui-ci venait-il de sortir, que, voyant M. Hirthès ouvrir la lettre, y jeter les yeux et pousser un cri de joie, je lui dis :

« Ah ! l’argent est donc enfin arrivé !

— L’argent ! fit-il en me regardant de travers par-dessus l’épaule ; vous ne me parlez jamais que d’argent… Tout cela m’ennuie à la fin : je ne veux plus supporter de pareilles avanies, m’entendez-vous ? »

Et moi, stupéfait de son insolence, je lui dis :

« Comment, misérable, c’est ainsi que vous parlez à votre bienfaiteur… à l’homme qui vous a nourri de son pain, qui vous a sauvé la vie !

— La vie ! fit-il en éclatant de rire d’un air de pitié ; c’est pour m’exploiter, pour me rançonner que vous avez fait cela. »

L’indignation m’emporta, je ne pus m’empêcher de l’insulter ; il me prit au collet.