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Page:Wash Irving voyage dans les prairies.djvu/12

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VOYAGE DANS LES PRAIRIES

mot le factotum et je puis ajouter la commère de notre compagnie. C’était un petit Créole français, maigre, jaune, tanné, aux membres souples et grêles, nommé Antoine, et familièrement Tony ; une sorte de Gil-Blas de la frontière, qui avait passé sa vie errante tour à tour parmi les Blancs et parmi les Indiens ; tantôt employé par les marchands, les missionnaires ou les agens, tantôt se mêlant avec les chasseurs Osages. Nous le prîmes à Saint-Louis, près duquel il a une petite ferme, une femme indienne et une couvée d’enfans métis ; cependant il a, de son aveu, une femme dans chaque tribu, et si l’on croyait tout ce que ce petit vagabond dit de lui-même, il serait sans moralité, sans foi, sans loi, sans culte, sans patrie, et on peut ajouter sans langage, car il parle un jargon babylonique, mêlé de français, d’anglais et d’osage : avec tout cela c’était un rodomont achevé et un menteur du premier ordre. Il était fort drôle de l’entendre gasconner sur ses formidables exploits et sur les périls atroces auxquels il avait miraculeusement échappé. Au milieu de sa volubilité, il éprouvait parfois un spasme des mâchoires très singulier : on eût dit qu’elles se démantibulaient, qu’elles se décrochaient de leurs gonds. Quant à