à travers la cour il riait bruyamment et répétait : « Parbleu oui ! Parbleu oui ! »
Si bien que Jonathan, en prenant son thé, déclara :
— Le maître est bien gai.
— Oui, répliqua sa femme, il y a longtemps que je ne l’ai entendu rire comme ça à pleine gorge.
— Ça me rappelle, dit Jonathan, l’histoire du fermier Knighton et de son frère. Il ne riait jamais, le fermier Knighton, jamais, si risibles que fussent les choses. Alors son frère lui paria la moitié de la ferme — ils étaient associés, vous comprenez — qu’il le ferait rire. Et pour le cas où il perdrait son pari et où son frère mourrait le premier, le fermier Knighton l’assura pour cinq cents livres. Après quoi le cadet essaya et essaya de faire rire son frère. Et voilà qu’un jour qu’il faisait le pitre en haut d’une charrette de foin, il tomba et se cassa les reins, le pauvre bougre, et il mourut, et Knighton n’avait pas ri. Alors il eut toute la ferme pour lui et, puisque son frère était mort il toucha aussi les cinq cents livres. C’est en rentrant de l’enterrement qu’il pensa à ça et il se mit à rire. Et voilà que, du coin de la cheminée où le cadet s’asseyait toujours, s’élève la voix : « Tu as ri, qu’elle crie, tu as ri, tu as perdu et je réclame la ferme. » De ce jour-là, il a hanté la ferme, et ni bêtes ni cultures n’ont plus prospéré, les terres redevinrent une lande et Knighton mourut.
Robert entra pendant le récit et sa mère regarda d’un air inquiet sa figure et ses cheveux trempés de sueur.
— Tu en as une chaleur, dit-elle aussitôt que le sort de Knighton fut réglé. Qu’as-tu donc fait ?
— Le poulain n’est pas très facile à attraper ces temps-ci, répondit doucement Robert, mais son cœur lui, n’était pas humble, mais d’une gaîté insolente.