— Le vieux m’a dit qu’il était au lit. Est-ce vrai ?
Ruth secoua la tête.
— Où est-il, alors ?
Ruth essuya ses bras à son tablier, vint prendre Gillian par la main et la conduisit par un corridor — en évitant la cuisine où se tenait Fringal — à la seconde porte de la salle. Elles s’y arrêtèrent, considérant ses panneaux sombres, telles des images du jour et de la nuit, ou de la vie et de la mort :
Enfin Ruth monta les trois marches et leva la main pour atteindre la poignée. Mais avant de l’ouvrir elle se retourna encore une fois pour abaisser son regard sur le visage ardent et vif de la jeune fille. Il y avait dans ce regard une interrogation, de la tolérance, de la tendresse et, qui sait ? de la pitié. Une expression passagère, une sorte de profonde compassion maternelle, sembla emplir un instant ces grands yeux. C’était presque comme si elle eût dit, du haut de nombreuses souffrances dont elle prenait avantage :
« Que voulez-vous à cet homme ? Que vous est-il, délicieuse créature ? Est-il sage de gravir ces trois marches sombres et de franchir cette sombre porte ? Je pourrais vous arrêter. Maintenant encore, je pourrais vous saisir par le bras et vous entraîner dans la cuisine où est Fringal. Je pourrais vous sauver pour une heure… pour un jour. Vous sauver de quoi ? Comment le savoir ? Venez-vous troubler ma tranquillité ? Ai-je une paix à détruire ? Deviendrez-vous semblable à moi, si vous passez cette porte ? Votre visage sera-t-il de pierre, vos épaules courbées, et le mutisme glacera-t-il vos jours ? Peut-être que non, parce que je suis ici et que je serai votre sauveur. Moi, je n’en ai pas eu. »
Gillian tremblait sous ce regard. Pourquoi ? Elle ne pouvait se l’expliquer à elle-même et ne put de toute