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Page:Webb - Sept pour un secret, 1933.djvu/347

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SEPT POUR UN SECRET…

d’intelligence nouvelle. Que ferait-il, ainsi que Fringal, quand ils découvriraient tout cela ? En tout cas, Robert serait là, tout irait bien. En ce moment même elle le voyait dans le pré qui s’étendait, long et étroit, entre les champs de la ferme et de la friche. Il rassemblait les moutons, toujours parqués dans ce pâturage en novembre, par crainte d’une chute de neige. Puis elle le vit partir dans le crépuscule avec son troupeau piétinant. L’air était froid et limpide, et tout faisait prévoir la neige. Au loin, les montagnes derrière lesquelles s’était couché le soleil, se dressaient au-dessus du violet sombre de la lande et se découpaient en saphir pâle, et, sur leurs cimes aiguës ou arrondies, les taches de neige s’atténuaient sous les nuages blancs du couchant. La friche s’étendait, sombre le long de l’eau, et, en la regardant, Gillian s’écria tout à coup :

— Je suis une enfant du péché, Ruth.

Celle-ci tourna, du même côté ses yeux noirs qui foncèrent encore, et son cœur attristé battit plus fort. Mais alors elle se rappela l’autel qui s’y trouvait, l’autel rustique qu’elle avait élevé peu à peu en ramassant du bois dans la friche, l’autel couvert de pommes de pin et consacré à celui qui était son Dieu, et, en même temps, comme un enfant qu’elle serrait contre sa poitrine. Un sourire, farouche et éblouissant, éclaira sa figure basanée, et la fierté de son amour fit soudain d’elle Ailse, la reine bohémienne, la rare, riche et séduisante Ailse, élevée par sa passion au-dessus de tous les tourments des enfants des hommes, soulevée même au-dessus de la crainte du Roi de l’Épouvante.

Robert, lui, regardant la friche sauvage en emmenant son troupeau, sentait que l’heure sonnerait bientôt où se réaliserait sa prévision, où le mal surgirait brusquement et où il serait seul pour lutter contre lui, où la