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Page:Webster - La Duchesse de Malfi, 1893, trad. Eekhoud.djvu/43

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Bosola. — Certaines fortunes bâties au moyen d’extorsions ressemblent à l’eau que le soleil retire de la mer et qui y retombe dès que l’astre pâlit.

La duchesse. — Je désirerais connaître votre opinion, à chacun, sur cet Antonio ?

Deuxième officier. — Comme il ne pouvait supporter la vue d’une tête de porc, j’étais certain que Votre Grâce finirait par trouver le juif.

Troisième officier. — C’est vous qui auriez dû être son intendant !

Quatrième officier. — Il y aurait eu plus d’argent dans vos coffres…

Premier officier. — Il s’enfonçait de la laine noire dans les oreilles et se faisait passer pour sourd auprès des solliciteurs.

Deuxième officier. — On le croyait hermaphrodite, tant les femmes semblaient lui répugner.

Quatrième officier. — Rappelez-vous sa morgue lorsque les coffres étaient pleins ! Qu’il s’en aille au diable !

Premier officier. — Et que tous les grappilleurs courent à sa suite pour partager les anneaux de sa chaîne d’or [1] !

La duchesse. — Laissez-nous ! (Exeunt les officiers.) Que pensez-vous de ceux-là ?

Bosola. — Aux jours de sa fortune, pour se le concilier, les mêmes coquins auraient consenti à se laisser river ses étriers boueux au nez et ils auraient suivi sa mule comme un ours dans un cercle. Leurs filles eussent assouvi sa luxure ; leurs fils seraient devenus ses mignons. Pour eux, il n’y eût point existé bonheur plus grand que celui de graviter dans son orbite et de porter sa livrée. Et à présent ces poux se détachent de lui ! Jamais vous ne rencontrerez son pareil. Il a laissé derrière lui un troupeau de vils flatteurs. Leur ruine suivra la sienne. Les princes paient les flatteurs en bienfaits illusoires. Les flatteurs dissimulent les vices des princes et ceux-ci déguisent les mensonges des courtisans. Hélas, ce pauvre seigneur !

La duchesse. — Pauvre, dites-vous ! Il a rempli grassement ses coffres !

Bosola. — Au contraire, il était trop honnête. Lorsque Plutus, dieu des richesses, est envoyé par Jupiter chez un mortel, il s’y rend en boitant, voulant dire par là que ce qui vient de la part de Dieu vient lentement ; mais lorsqu’il est envoyé en mission par le diable, il court la poste et tombe comme une bombe. Laissez-moi vous montrer quel joyau inesti-

  1. Passage obscur :
    Yes and the clippings of the buttery fly after him, to scour his gold chain ! Littéralement : « Oui et que les miettes du cellier volent à sa suite pour nettoyer sa chaîne d’or ! » G. E.