Scène V
La duchesse. — Bannis d’Ancône !
Antonio. — Vous voyez de quel pouvoir disposent ces potentats.
La duchesse. — Notre escorte se réduit-elle à cette poignée d’hommes ?
Antonio. — Ceux-ci, de pauvres diables qui ne gagnaient pas gros à votre service, ont fait vœu de partager votre sort, tandis que vos favoris, gorgés de vos richesses, ont profité de la première occasion pour vous abandonner.
La duchesse. — Ce sont des gens bien avisés. Ainsi, les médecins ne condamnent généralement leurs malades qu’après les avoir dépouillés !
Antonio. — Il en va ainsi en ce monde. Les flatteurs s’écartent des fortunes déchues. On cesse de bâtir là où les fondations s’enfoncent.
La duchesse. — J’ai fait un rêve étrange cette nuit…
Antonio. — Racontez-le moi.
La duchesse. — Comme j’étais assise sur mon trône, revêtue des ornements princiers, soudain tous les diamants de mon diadème se changèrent en perles…
Antonio. — Hélas ! Ces perles sont des larmes que vous répandrez bientôt.
La duchesse. — Que ne vivons-nous, comme les oiseaux des champs, des bienfaits de la frugale nature ! Plus heureux que nous, ils sont libres de s’accoupler à leur gré et chantent leurs amours à chaque printemps !
Bosola. — Je vous apporte un agréable message…
La duchesse. — De la part de mon frère…
Bosola. — De lui-même. Il y ajoute ses compliments et ses offres de service.
La duchesse. — Tu voudrais blanchir le mal que tu fais.
Sur l’océan le calme n’est jamais si parfait qu’avant la tempête ; de même les cœurs faux ne font entendre de douces paroles qu’à ceux qu’ils ont l’intention de perdre.
(Elle lit :) « Envoyez-moi Antonio, j’ai besoin de sa tête pour une affaire urgente. »
La délicate équivoque ! Il ne s’agit pas de vos lumières, mais de votre