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Page:Webster - La Duchesse de Malfi, 1893, trad. Eekhoud.djvu/55

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Mon cœur est plein de poignards. Pouah !… Laissez-moi souffler ces vipères… (Entre un domestique.) Qui êtes-vous ?

Le serviteur. — Quelqu’un qui vous souhaite de longs jours…

La duchesse. — Je voudrais te voir pendu pour cette horrible imprécation ! Bientôt on me citera comme un miracle de détresse… Ah, je vais prier… non, je vais maudire…

Bosola. — Ô fi !

La duchesse. — Maudites, les étoiles !

Bosola. — Quelle extravagance !

La duchesse. — Que les saisons de l’année se réduisent au stérile hiver ! La terre retourne au chaos !

Bosola. — Regardez. Les étoiles brillent encore.

La duchesse. — Ma malédiction ne les aura pas encore rejointes… Que les fléaux moissonnent jusqu’au dernier les nombreuses familles des hommes et consument à leur tour les pléiades des astres !

Bosola. — Fi, Madame !

La duchesse. — Qu’à l’égal des tyrans on ne conserve la mémoire que du mal qu’elles ont causé ; que les prêtres les plus charitables les oublient dans leurs prières !

Bosola. — Quelle impiété !

La duchesse. — Que pour les punir, le ciel refuse quelque temps ses palmes aux martyrs !… Va, crie-leur cela ; dis-leur que j’ai hâte de voir couler mon sang. Il y a quelque miséricorde à expédier promptement ses victimes… (Exit.)


Rentre FERDINAND.


Ferdinand. — L’expérience réussit au delà de mon attente. On la torture à la perfection. Ces épouvantails ne sont que des figures de cire fabriquées par Vincentio Lauriola, un maître qui excelle dans ce genre de sculpture, à preuve qu’elle les a prises pour de vrais cadavres.

Bosola. — Pourquoi ce luxe d’horreurs ?

Ferdinand. — Pour la réduire au désespoir…

Bosola. — Croyez-moi, en voilà assez. Trêve de cruautés. Envoyez-lui un cilice pour qu’elle en mortifie sa chair coupable, et approvisionnez-la de rosaires et de livres d’heures…

Ferdinand. — Malédiction sur elle ! Que j’épargne son âme ! Mais à l’époque où le sang de notre race y coulait noble et immaculé, son corps valait mieux que son âme, que cette âme qu’il loge à présent, cette âme pourrie que tu voudrais consoler. Je lui enverrai des mascarades de courti-