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Page:Webster - La Duchesse de Malfi, 1893, trad. Eekhoud.djvu/59

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Troisième fou. — Quiconque ne boit que pour se désaltérer sera damné.

Quatrième fou. — Si j’avais ma lunette d’approche, je vous procurerais un tel spectacle que toutes les femmes de l’assistance me traiteraient de sorcier.

Premier fou. — Que fait-il ? Est-ce un cordier ?

Deuxième fou. — Non, non, non, c’est un sinistre farceur. Sous prétexte de vous montrer des sépulcres, il plonge la main sous la jupe des femmes.

Troisième fou. — Maudit soit le carrosse qui a ramené à trois heures du matin ma femme du bal masqué ; il contenait tout un lit de plumes…

Quatrième fou. — J’ai limé quarante fois les ongles au diable, je les ai rôtis dans des œufs de corbeau et j’en ai préparé un antidote contre la fièvre intermittente.

Troisième fou. — Qu’on me cherche trois cents chauves-souris donnant du lait pour en faire des potions dormitives…

Quatrième fou. — Toute la faculté peut me tirer son chapeau à présent. J’ai constipé un marchand de savon. C’est là mon chef-d’œuvre !

(Danse des huit fous accompagnés par une musique infernale.)


Entre BOSOLA déguisé en vieillard.


La duchesse. — Et celui-ci est-il fou aussi ?

Le serviteur. — Demandez-le-lui vous-même, je vous laisse. (Le serviteur et les fous se retirent.)

Bosola. — Je viens creuser ta tombe.

La duchesse. — Ma tombe, dis-tu ? Suis-je si mal que tu me parles comme si je râlais sur mon lit de mort ?

Bosola. — Oui, d’autant plus basse que tu ne t’en aperçois pas.

La duchesse. — Tu n’es pas fou comme les autres, j’imagine. Me connais-tu ?

Bosola. — Oui.

La duchesse. — Qui suis-je ?

Bosola. — Un régal pour les vers, ou tout au moins de la poussière de momie. Qu’est-ce que la chair ? Un peu de lait caillé, d’étrange pâtisserie feuilletée. Nos corps fragiles sont les niches en papier dans lesquelles les écoliers enferment les mouches, mais moins propres puisqu’ils sont destinés à loger des vers de terre. As-tu jamais vu une alouette prisonnière ? Telle, l’âme dans le corps. La terre est cette petite motte de gazon ; le ciel, ce miroir qui meublent la cage. Suspendu au-dessus de notre tête, le ciel nous dissimule l’étroitesse de notre prison…