Ferdinand. — Laissez-moi !
Malatesti. — D’où vous vient, Monseigneur, ce grand amour de la solitude ?
Ferdinand. — Les aigles volent généralement seuls. Ce sont les corbeaux, les choucas et les étourneaux qui voyagent par bandes. Regardez là. Qui me suit ?
Malatesti. — Personne, Monseigneur…
Ferdinand. — Oui.
Malatesti. — C’est votre ombre.
Ferdinand. — Arrêtez-la. Qu’on l’empêche de me hanter.
Malatesti. — C’est impossible du moment que vous bougez et que le soleil luit.
Ferdinand. — Ah ! Je l’étranglerai. (Il se précipite sur son ombre.)
Malatesti. — Ô Monseigneur, vous vous irritez pour rien.
Ferdinand. — Laisse-moi faire ! Comment pourrais-je attraper mon ombre sans me laisser tomber dessus ?… Lorsque je descendrai aux enfers, j’entends me munir de cadeaux, car, crois-moi, il n’est si redoutable personnage qu’on ne puisse désarmer par des présents.
Pescara. — Relevez-vous, mon bon seigneur…
Ferdinand. — J’étudie l’art de patienter…
Pescara. — Une noble vertu…
Ferdinand. — À cette fin je veux conduire six limaçons d’ici à Moscou, sans recourir une seule fois à l’aiguillon ou au fouet, mais en leur laissant prendre leur temps. L’homme le plus patient de la terre m’a proposé ce pari… Je me traînerai à leur suite comme leur berger…
Le cardinal. — Allons. Relevez-le de force. (Ils le relèvent.)
Ferdinand. — Traitez-moi bien. Dans votre intérêt. Ce que j’ai fait est fait. Je ne confesserai rien.
Le docteur. — Permettez-moi de lui parler. Êtes-vous fou, Monseigneur ? Avez-vous perdu votre auguste raison ?
Ferdinand. — Qui est celui-là ?
Pescara. — Votre médecin.
Ferdinand. — Qu’on lui scie la barbe et qu’on lui lime plus décemment les sourcils…
Le docteur. — Il me faut flatter sa folie par des extravagances, c’est le seul moyen de me le concilier… J’apporte à Votre Grâce une peau de salamandre pour vous protéger contre les coups de soleil…