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Page:Webster - La Duchesse de Malfi, 1893, trad. Eekhoud.djvu/70

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Ferdinand. — J’ai si mal aux yeux…

Le docteur. — Le blanc d’un œuf de basilic est un remède infaillible…

Ferdinand. — Un œuf frais pondu, voulez-vous dire… Cachez-moi… Arrachez-moi à sa vue… Les médecins sont comme les rois, ils ne souffrent pas la contradiction.

Le docteur. — Ah ! Il commence à me craindre. Laissez-moi seul avec lui.

Le cardinal. — Et quoi ? Vous dépouillez votre robe…

Le docteur. — Qu’on me cherche quarante pots de chambre remplis d’eau de rose. Nous nous en aspergerons. Attention, il commence à me craindre… Savez-vous battre un entrechat, Monseigneur ? Laissez-le faire. Laissez-le faire ! Je réponds de lui. Ses yeux révèlent la peur qu’il a de moi. Je le rendrai aussi docile qu’une marmotte…

Ferdinand. — Savez-vous battre un entrechat, Monseigneur ? Je veux le réduire en bouillie, l’écorcher, pour couvrir de sa peau un des squelettes que ce coquin a exposés au froid dans la salle de dissection. — Allez-vous-en ! Allez-vous-en ! Vous ressemblez tous à des bêtes sacrifiées ; il ne reste plus rien de votre corps que la langue et le ventre : la flatterie et la paillardise. (Exit.)

Pescara. — Docteur, il ne vous a pas craint outre mesure.

Le docteur. — En vérité, j’ai été un peu présomptueux.

Bosola. — Miséricorde ! Quelle terrible justice a frappé ce pauvre Ferdinand !

Pescara. — Votre Grâce sait-elle quel accident a plongé le prince dans cet état étrange ?

Le cardinal, (à part). — Inventons quelque chose… Voici, paraît-il, comment le mal se serait déclaré : vous avez dû entendre dire que depuis un temps immémorial, personne ne meurt dans notre famille sans que lui apparaisse le fantôme d’une de nos ancêtres assassinée, du moins à ce que rapporte la tradition, par des neveux qui convoitaient son bien. Une nuit qu’il travaillait dans sa bibliothèque, le spectre apparut au prince. Les officiers accourus à ses cris de terreur, le trouvèrent étendu par terre, le corps inondé d’une sueur froide, la physionomie bouleversée, la parole égarée. Depuis cette apparition, son état s’est toujours empiré, et je crains beaucoup pour sa vie…

Bosola. — Seigneur, je voudrais vous parler.

Pescara. — Nous prenons congé de Votre Grâce, en souhaitant au prince, notre noble seigneur, la guérison de l’âme et du corps.