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Page:Webster - La Duchesse de Malfi, 1893, trad. Eekhoud.djvu/73

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Julia. — Trêve de madrigaux. Vous vous croyez obligé de me cajoler, parce que je me jette à votre cou…

Bosola, (à part). — J’ai trouvé. Cette créature me servira. Prêtons-nous à ses épanchements. Livrons-nous aux privautés les plus amoureuses. Si le grand cardinal me surprenait dans cette posture, il me traiterait comme un misérable…

Julia. — Mais non… Il pourrait me traiter de gourgandine sans avoir le moindre motif de t’en vouloir, à toi ; car si je convoite et m’approprie un diamant, la faute n’en est pas à la pierre, mais à moi, voleuse, qui la dérobe… Je vais vite en besogne, n’est-ce pas ? Nous autres grandes amoureuses, avons coutume de supprimer ces désirs vagues et ces ardeurs languissantes et inquiètes, et nous faisons naître au même instant le charmant prétexte et le suave délice… Si tu avais été dans la rue, là, sous ma fenêtre, je me serais offerte à toi avec la même franchise…

Bosola. — Ô trois fois excellente dame !

Julia. — Ordonne-moi, afin d’éprouver mon amour, quelque chose que je puisse faire pour toi, sur-le-champ…

Bosola. — Je te prends au mot… S’il est vrai que tu m’aimes à ce point, ne manque pas d’exécuter ta promesse… Le cardinal est devenu étrangement morose ; demande-lui la cause de cette humeur ; et surtout ne te contente pas des premiers prétextes qu’il te donnera ; insiste, tâche de découvrir la raison capitale de cette dépression…

Julia. — Pourquoi désires-tu savoir cela ?

Bosola. — C’est que je fonde tout mon espoir sur sa fortune. Or, si, comme on me l’a affirmé, sa disgrâce auprès de l’empereur est certaine, pareil aux rats qui désertent les maisons qui s’écroulent, je quitterai son service et chercherai un autre protecteur.

Julia. — Inutile de suivre l’armée. Je me fais ta protectrice…

Bosola. — Et moi ton féal serviteur… Mais je ne puis pourtant abandonner mon métier de soldat…

Julia. — Quoi ! tu hésiterais entre un général ingrat et l’amour d’une tendre dame ! Tu ressembles à ces êtres fantasques qui ne sauraient dormir dans un lit de plumes et prennent un billot pour oreiller…

Bosola. — Feras-tu ce que je te demande ?…

Julia. — Tu peux y compter…

Bosola. — Demain, je viendrai prendre des nouvelles…

Julia. — Demain ! Non, à l’instant même… Passe dans mon cabinet et tu seras renseigné sur-le-champ… Et toi, à ton tour, tâche de me satisfaire aussi promptement. Je ressemble à ces patients à qui on a promis leur