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Page:Webster - La Duchesse de Malfi, 1893, trad. Eekhoud.djvu/74

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grâce ; ils voudraient la voir scellée. Va, cache-toi là, tu verras ma langue s’enrouler comme un écheveau de soie autour de son cœur… (Exit Bosola.)


Rentre LE CARDINAL.


Le cardinal. — Holà, quelqu’un !

Un domestique. — Me voici, Monseigneur…

Le cardinal. — Si tu tiens à la vie, toi et les autres drôles à mon service, ne laisse approcher personne du prince Ferdinand. (À part.) Dans l’état où il se trouve, il pourrait révéler l’assassinat. (Exit le domestique.) Ah ! voilà mon ardent vampire ! J’en suis las et voudrais m’en débarrasser, coûte que coûte…

Julia. — Eh bien, Monseigneur, qu’est-ce qui vous tourmente ?

Le cardinal. — Rien…

Julia. — Oh ! vous êtes bien changé… Venez. Ne suis-je pas votre confidente. Débarrassez votre sein de ce vilain poids ? Qu’y a-t-il ?

Le cardinal. — Je ne puis te le dire…

Julia. — Êtes-vous si jaloux de votre tristesse que vous refusiez de la partager ? Ou croyez-vous que j’aime moins Votre Grâce lorsqu’elle est triste que lorsqu’elle est gaie ? Douteriez-vous que celle qui possède depuis tant d’hivers le secret de votre cœur garde aussi religieusement le secret de votre parole ?

Le cardinal. — Cesse de me mettre à la question… J’ai commis une action que je désire cacher toujours au monde…

Julia. — Pourquoi me la cacher à moi ? Vous m’avez bien fait partager un secret aussi grand que l’adultère. Seigneur, jamais vous n’aurez l’occasion de mettre ma fidélité à une épreuve aussi décisive qu’à présent. Parlez, je vous en conjure…

Le cardinal. — Si je parle tu t’en repentiras…

Julia. — Jamais.

Le cardinal. — Sache que ma confidence entraînerait ta ruine. Non, je ne te dirai rien. Sois raisonnable et considère quel danger il y a de recevoir les secrets des princes… Pareils confidents devraient avoir la poitrine cerclée de diamants pour mieux garder leur funeste dépôt. Je t’en prie, avant d’exiger que je satisfasse ta curiosité, examine ta propre faiblesse. Il est plus facile de nouer une intrigue que de la dénouer. Comme un poison lent ce secret pourrait circuler dans tes veines et ne te tuer qu’après sept ans.

Julia. — Allez, vous vous moquez de moi…