Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/106

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encore que la transformation de la chaleur en mouvement. Mais l’impossible est possible à Dieu. En un sens même, seul l’impossible est possible à Dieu. Il a abandonné le possible aux mécanismes de la matière et à l’autonomie des créatures.

Les procédés et les effets de cette transformation ont été étudiés expérimentalement, de la manière la plus minutieuse, dans l’antiquité par les Égyptiens, les Grecs, les Hindous, les Chinois et probablement beaucoup d’autres, au Moyen Âge par plusieurs sectes bouddhistes, par les musulmans et par les chrétiens. Depuis plusieurs siècles, ces choses sont plus ou moins oubliées dans tous les pays.

La nature même d’une telle transformation empêche qu’on puisse espérer la voir accomplie par tout un peuple. Mais la vie entière de tout un peuple peut être imprégnée par une religion qui soit tout entière orientée vers la mystique. Cette orientation seule distingue la religion de l’idolâtrie.

L’école sociologique française a presque raison dans son explication sociale de la religion. Il s’en faut d’un infiniment petit qu’elle ait raison. Seulement cet infiniment petit est le grain de sénevé, la perle dans le champ, le levain dans la pâte, le sel dans la nourriture. Cet infiniment petit est Dieu, c’est-à-dire infiniment plus que tout.

Dans la vie d’un peuple comme dans la vie d’une âme, il s’agit seulement de mettre cet infiniment petit au centre. Tout ce qui n’en a pas le contact direct doit en être comme imprégné par l’intermédiaire de la beauté. C’est ce qu’a failli accomplir le Moyen Âge roman, cette période prodigieuse où quotidiennement les yeux et les oreilles des hommes étaient comblés de beauté parfaitement simple et pure.

La différence est infiniment petite entre un régime du travail qui ouvre aux hommes la beauté du monde et un autre qui la ferme. Mais cet infiniment petit est