Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/107

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réel. Là où il est absent, rien d’imaginaire ne peut le remplacer.

Partout et toujours, s’il est permis d’employer de tels mots pour résumer, jusqu’à une période récente, le régime du travail a été corporatif. Les institutions telles que l’esclavage, le servage, le prolétariat, s’ajoutaient à l’organisation corporative comme un cancer à un organe. Depuis quelques siècles, le cancer a remplacé l’organe.

Quand le fascisme met en avant la formule corporative, c’est avec la même sincérité que lorsqu’il parle de paix. D’ailleurs, rien de ce qu’on nomme aujourd’hui corporatisme n’a quoi que ce soit de commun avec les anciennes corporations. L’antifascisme aussi peut un jour adopter cette formule, et derrière ce rideau tomber dans un capitalisme d’État à forme totalitaire. Un vrai régime de corporations ne poussera pas dans un milieu qui n’y sera pas spirituellement préparé.

Le malheur était tombé sur l’Allemagne sous la forme de la crise économique ; il l’a poussée violemment hors du vide de l’indifférence dans une fureur d’idolâtrie. Le malheur est tombé sur la France sous la forme d’une conquête. L’idolâtrie nationale n’est pas possible à un peuple subjugué.

Des trois méthodes pour se débarrasser de l’opposition du bien et du mal, aucune n’est accessible aux esclaves ou aux peuples asservis. D’un autre côté, tous les jours les douleurs et les humiliations font entrer en eux le mal du dehors qui éveille le mal intérieur sous forme de peur ou de haine. Ils ne peuvent ni oublier le mal ni s’en délivrer, et vivent ainsi dans la meilleure imitation terrestre de l’enfer.

Mais les trois méthodes ne sont pas également inaccessibles. Deux sont impossibles. Celle qui est surnaturelle est seulement difficile. Il n’est d’accès vers elle que par la pauvreté spirituelle. Autant la vertu