Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/109

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans l’histoire de ce pays, une telle puissance de vie dans sa tradition, que quelques racines y puisent encore de la sève dans un passé imprégné de lumière mystique.

Il y a eu un moment où l’Angleterre s’est trouvée devant l’Allemagne comme un enfant aux mains vides seul devant une brute qui brandit un revolver dans chaque main. Un enfant, dans cette situation, ne peut pas grand-chose. Mais s’il regarde froidement la brute dans les yeux, il est certain que la brute hésitera quelques moments.

C’est ce qui s’est produit. L’Allemagne, pour se dissimuler à elle-même cette hésitation, pour se donner un alibi, s’est jetée sur la Russie et y a brisé le meilleur de ses forces. Les flots de sang versés par les soldats russes ont fait presque oublier ce qui a précédé. Pourtant ce moment de silence et d’immobilité de l’Angleterre mérite encore bien davantage un souvenir impérissable. Cet arrêt des troupes allemandes sur la Manche est la part propre du surnaturel dans cette guerre. Part comme toujours négative, imperceptible, infiniment petite, et décisive. Les flots de la mer vont loin, mais quelque chose les arrête. L’antiquité savait que Dieu est ce qui assigne une limite.

Il y avait un temps où tous les murs, en France, étaient couverts d’affiches qui portaient : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts. » Ce fut la parole la plus niaise de cette guerre. Le moment décisif a été celui où notre force était presque nulle. La force ennemie s’est arrêtée parce que la force, n’étant pas divine, est sujette à la limite.

La guerre s’est étendue à d’autres continents. L’idolâtrie qui anime le Japon est peut-être plus violente encore que celle d’aucun autre peuple. Aux États-Unis la croyance démocratique est encore vivante, alors qu’en France, par exemple, même avant la guerre, même avant Munich, elle était presque morte. Mais notre époque est une période d’idolâtrie et de foi, non