Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sauvagerie que l’ennemi a choisie et qu’il nous impose à notre tour. Le défi serait d’autant plus frappant que ces offices d’humanité seraient accomplis par des femmes et enveloppés d’une tendresse maternelle. En fait ces femmes seraient une poignée et le nombre de soldats dont elles pourraient s’occuper serait proportionnellement petit ; mais l’efficacité morale d’un symbole est indépendante de la quantité.

Un courage qui n’est pas échauffé par la volonté de tuer, qui au point du plus grand péril soutient le spectacle prolongé des blessures et des agonies, est certainement d’une qualité plus rare que celui des jeunes S.S. fanatisés.

Un petit groupe de femmes exerçant jour après jour un courage de ce genre serait un spectacle tellement nouveau, tellement significatif et chargé d’une signification tellement claire qu’il frapperait l’imagination plus que n’ont fait jusqu’ici les divers procédés inventés par Hitler. Hitler seul jusqu’à présent a frappé l’imagination des masses. Il faudrait frapper maintenant plus fort que lui. Ce corps féminin constituerait sans doute l’un des procédés capables d’y réussir.

Quoique composé de femmes non armées, il ferait sans doute impression sur les soldats ennemis, en ce sens que leur présence et leur tenue feraient sentir d’une manière nouvelle et inattendue jusqu’où vont de notre côté les ressources morales et la résolution.

L’existence de ce corps féminin ferait une impression non moindre sur le public en général, dans les pays qui prennent part à la lutte et dans ceux qui y assistent. Sa portée symbolique serait saisie partout. Ce corps d’un côté et les S.S. de l’autre feraient par leur opposition un tableau préférable à n’importe quel slogan. Ce serait la représentation la plus éclatante possible des deux directions entre lesquelles l’humanité doit aujourd’hui choisir.

Plus grande encore sans doute serait l’impression faite sur nos soldats.

Les soldats ennemis ont sur eux, du point de vue purement militaire, la supériorité d’avoir été arrachés à leurs familles et dressés pour la guerre depuis dix ans. Ils ne sont pas désorientés par le changement d’atmosphère. Ils n’ont pour ainsi dire jamais connu une autre atmosphère. Le prix d’un foyer leur est inconnu. Ils n’ont jamais respiré autre chose que la violence, la destruction et la conquête. Cette guerre, si dure qu’elle soit, est pour eux non pas un arrachement mais une continuation et un accomplissement.

Elle a été, elle est un arrachement pour les garçons français, anglais, américains, qui ont toujours vécu dans un foyer paisible et désirent simplement le retrouver après en avoir assuré la sécurité par la victoire.