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Le pays agresseur part toujours avec un avantage moral considérable, pour peu que l’agression ait été préparée et préméditée. Les garçons de nos pays ont été arrachés à leur vie véritable par l’agression allemande et transportés brutalement dans une atmosphère qui n’est pas la leur, qui est celle de leurs ennemis. Pour défendre leurs foyers, ils doivent commencer par les quitter et presque les oublier, à force de vivre dans des lieux où il ne se trouve rien qui les rappelle. L’atmosphère du combat les empêche de garder le mobile du combat présent à la pensée. Du côté de l’agresseur, il se produit exactement l’inverse. Il n’est donc pas étonnant que du côté de l’agresseur il y ait davantage d’élan.

C’est pourquoi l’élan de l’agression ne se heurte en général à un élan d’intensité égale que quand ceux qui se défendent se trouvent chez eux, près de leurs foyers, et presque réduits au désespoir par la crainte de les perdre.

Il n’est ni possible ni désirable de transformer nos soldats en jeunes brutes fanatiques semblables aux jeunes hitlériens. Mais on peut porter leur élan au maximum en rendant les foyers qu’ils défendent aussi intensément présents que possible à leur pensée.

Pour cela, quoi de mieux que de les faire accompagner jusque sous le feu, jusque dans les scènes de la plus grande brutalité, par quelque chose qui constitue une évocation vivante des foyers qu’ils ont dû quitter, une évocation non pas attendrissante, mais au contraire exaltante ? Il n’y aurait pas alors de moment où ils aient l’impression déprimante d’une cassure du lien entre eux et tout ce qu’ils aiment.

Ce corps féminin constituerait précisément cette évocation concrète et exaltante des foyers lointains.

Les anciens Germains, ces peuplades semi-nomades que les armées romaines ne purent jamais subjuguer, avaient reconnu le caractère exaltant d’une présence féminine au plus dur du combat. Ils avaient la coutume de mettre une jeune fille, entourée de l’élite des jeunes guerriers, en avant des lignes.

De nos jours, les Russes, dit-on, trouvent eux aussi avantageux de laisser des femmes servir jusque sous le feu.

Les membres de ce corps féminin pourraient rendre au besoin des services de toute nature en dehors des soins aux blessés. Dans les moments les plus critiques, où les officiers et sous-officiers sont dépassés par la multitude des tâches à remplir, elles deviendraient leurs auxiliaires naturels pour toutes les besognes autres que le maniement même des armes, pour tout ce qui est liaison, ralliement, transmission des ordres. En admettant que leur sang-froid demeure intact, leur sexe même ferait d’elles dans ces moments des instruments d’une grande efficacité.