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que le privilège par définition est inégal ; basse, parce qu’il ne vaut pas d’être désiré.

Mais la catégorie des hommes qui formulent et les revendications et toutes choses, qui ont le monopole du langage, est une catégorie de privilégiés. Ce n’est pas eux qui diront que le privilège ne vaut pas d’être désiré. Ils ne le pensent pas. Mais surtout ce serait indécent de leur part.

Beaucoup de vérités indispensables et qui sauveraient les hommes ne sont pas dites par une cause de ce genre ; ceux qui pourraient les dire ne peuvent pas les formuler, ceux qui pourraient les formuler ne peuvent pas les dire. Le remède à ce mal serait un des problèmes pressants d’une véritable politique.

Dans une société instable, les privilégiés ont mauvaise conscience. Les uns le cachent par un air de défi et disent aux foules : « Il est tout à fait convenable que vous n’ayez pas de privilèges et que j’en aie. » Les autres leur disent d’un air de bienveillance : « Je réclame pour vous tous une part égale aux privilèges que je possède. »

La première attitude est odieuse. La seconde manque de bon sens. Elle est aussi trop facile.

L’une et l’autre aiguillonnent le peuple à courir dans la voie du mal, à s’éloigner de son unique et véritable bien, qui n’est pas en ses mains, mais qui, en un sens, est tellement proche de lui. Il est beaucoup plus proche d’un bien authentique, qui soit source de beauté, de vérité, de joie et de plénitude que ceux qui lui accordent leur pitié. Mais n’y étant pas et ne sachant comment y aller, tout se passe comme s’il en était infiniment loin. Ceux qui parlent pour lui, à lui, sont également incapables de comprendre et dans quelle détresse il se trouve et quelle plénitude de bien se trouve presque à sa portée. Et lui, il lui est indispensable d’être compris.

Le malheur est par lui-même inarticulé. Les mal-