Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/43

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consiste le châtiment. Ceux qui sont devenus étrangers au bien au point de chercher à répandre le mal autour d’eux ne peuvent être réintégrés dans le bien que par l’infliction du mal. Il faut leur en infliger jusqu’à ce que s’éveille au fond d’eux-mêmes la voix parfaitement innocente qui dit avec étonnement : « Pourquoi me fait-on du mal ? » Cette partie innocente de l’âme du criminel, il faut qu’elle reçoive de la nourriture et qu’elle croisse, jusqu’à ce qu’elle se constitue elle-même en tribunal à l’intérieur de l’âme, pour juger les crimes passés, pour les condamner, et ensuite, avec le secours de la grâce, pour les pardonner. L’opération du châtiment est alors achevée ; le coupable est réintégré dans le bien, et doit être publiquement et solennellement réintégré dans la cité.

Le châtiment n’est pas autre chose que cela. Même la peine capitale, bien qu’elle exclue la réintégration dans la cité au sens littéral, ne doit pas être autre chose. Le châtiment est uniquement un procédé pour fournir du bien pur à des hommes qui ne le désirent pas ; l’art de punir est l’art d’éveiller chez les criminels le désir du bien pur par la douleur ou même par la mort.


Mais nous avons tout à fait perdu jusqu’à la notion du châtiment. Nous ne savons plus qu’il consiste à fournir du bien. Pour nous il s’arrête à l’infliction du mal. C’est pourquoi il y a une chose et une seule dans la société moderne plus hideuse encore que le crime, et c’est la justice répressive.

Faire de l’idée de justice répressive le mobile central dans l’effort de la guerre et de la révolte est plus dangereux que personne ne peut l’imaginer. Il est nécessaire d’user de la peur pour diminuer l’activité criminelle des lâches ; mais il est affreux de faire de la justice répressive, telle que nous la concevons aujourd’hui dans notre ignorance, le mobile des héros.