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Toutes les fois qu’un homme d’aujourd’hui parle de châtiment, de punition, de rétribution, de justice au sens punitif, il s’agit seulement de la plus basse vengeance.

Ce trésor de la souffrance et de la mort violente, que le Christ a pris pour lui et qu’il offre si souvent à ceux qu’il aime, nous en faisons si peu de cas que nous le jetons aux êtres les plus vils à nos yeux, sachant qu’ils n’en feront aucun usage et n’ayant pas l’intention de les aider à en trouver l’usage.

Aux criminels, le vrai châtiment ; aux malheureux que le malheur a mordus au fond de l’âme, une aide capable de les amener à étancher leur soif aux sources surnaturelles ; à tous les autres un peu de bien-être, beaucoup de beauté, et la protection contre ceux qui leur feraient du mal ; partout la limitation rigoureuse du tumulte des mensonges, des propagandes et des opinions ; l’établissement d’un silence où la vérité puisse germer et mûrir ; c’est cela qui est dû aux hommes.

Pour assurer cela aux hommes, on ne peut compter que sur les êtres passés de l’autre côté d’une certaine limite. On dira qu’ils sont trop peu nombreux. Ils sont probablement rares, mais pourtant on ne peut les compter ; la plupart sont cachés. Le bien pur n’est envoyé du ciel ici-bas qu’en quantité imperceptible, soit dans chaque âme, soit dans la société. « Le grain de sénevé est la plus petite des graines. » Proserpine n’a mangé qu’un seul grain de grenade. Une perle enfouie au fond d’un champ n’est pas visible. On ne remarque pas le levain mélangé à la pâte.

Mais comme dans les réactions chimiques les catalyseurs ou les bactéries, dont le levain est un exemple, de même dans les choses humaines les grains imperceptibles de bien pur opèrent d’une manière décisive par leur seule présence, s’ils sont mis où il faut.

Comment les mettre où il faut ?

Beaucoup serait accompli si parmi ceux qui ont la