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LUTTONS-NOUS POUR LA JUSTICE ?

« L’examen de ce qui est juste, on l’accomplit seulement quand il y a nécessité égale de part et d’autre. Là où il y a un fort et un faible, le possible est exécuté par le premier et accepté par le second. »

Ainsi parlent dans Thucydide des Athéniens venus porter un ultimatum à la malheureuse petite cité de Mélos.

Ils ajoutent : « À l’égard des dieux nous avons la croyance, à l’égard des hommes la certitude, que toujours, par une nécessité de la nature, chacun commande partout où il en a le pouvoir. »

Ils ont ainsi exprimé en deux phrases la totalité de la politique réaliste. Seuls les Grecs de cette époque ont su concevoir le mal avec cette lucidité merveilleuse. Ils n’aimaient plus le bien, mais leurs pères, qui l’avaient aimé, leur en avaient transmis la lumière. Ils s’en servaient pour connaître la vérité du mal. Les hommes n’étaient pas encore entrés dans le mensonge. C’est pourquoi ce ne furent pas les Athéniens, mais les Romains, qui fondèrent un Empire.

Ces deux phrases sont de celles qui choquent les bonnes âmes. Mais tant qu’un homme n’en a pas éprouvé la vérité dans la chair, le sang et l’âme tout