Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/62

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d’orthodoxie, dont l’Inquisition est la conséquence directe, on se précipite soi-même dans les ténèbres. Il en est ainsi quel que soit le système d’opinions choisi.

Il en est exactement ainsi de la légitimité. Ce beau mot a une vertu merveilleuse par le pouvoir qu’il possède d’orienter l’intention, le désir, le vouloir. Il produit du mal si on veut le définir par une conception humaine, par des formes de gouvernement.

Un roi peut être légitime. Un chef de gouvernement parlementaire peut l’être. Un roi peut être illégitime ; un chef de gouvernement parlementaire peut l’être aussi, les formes les plus régulières eussent-elles été observées.

Un chef d’État gouverne légitimement un pays s’il désire par-dessus toute autre chose être chef légitime, et si la presque totalité du peuple le regarde comme étant un chef légitime et sent qu’il désire le demeurer.

Les formes des institutions politiques ont d’abord pour fin de permettre au chef et au peuple d’exprimer leurs sentiments. Elles sont l’analogue des lettres d’amour, des échanges d’anneaux et d’autres souvenirs chez les amants. Il y a des milieux où une femme ne se croirait pas vraiment mariée si elle ne portait pas une alliance en or. Ce n’est pourtant pas l’alliance qui constitue l’union conjugale. Et néanmoins, il faut que les femmes qui ont cet état d’esprit portent une alliance.

Les institutions politiques constituent essentiellement un langage symbolique. Un langage n’est jamais une chose arbitraire, une convention ; loin de là, cela pousse comme une plante.

Ce qui rend aujourd’hui le problème français si angoissant, c’est qu’il n’y a aucun langage susceptible de parler au cœur des Français.

Le sentiment de légitimité n’a jamais été fort chez eux. La royauté a cessé d’être légitime à la fin du xive siècle. La Constituante a été suivie immédiate-