Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/71

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Mais même si le double mécanisme du système avait pleinement fonctionné, il était très insuffisant. La pénalité était ridicule par rapport aux fautes possibles.

Sans doute il y a aussi dans le code des peines prévues pour forfaiture, trafic d’influence ou trahison. Mais il n’y en a aucune pour l’injustice et l’inhumanité.

S’il avait plu, par exemple, à des députés français de déposer un projet de loi condamnant à mort tous les Juifs sans distinction de sexe ni d’âge, et à d’autres députés de le voter, aucun texte n’aurait permis de les punir. Dira-t-on que leurs électeurs n’auraient plus voulu d’eux ? Ce n’est même pas sûr. Et relativement au crime c’est peu de chose. Dira-t-on qu’en fait la chose n’a pas eu lieu ? Mais est-il sûr qu’il n’y ait pas eu des mesures situées, quoique moins visiblement, à peu près à ce niveau d’atrocité ? Par exemple dans le traitement des colonies, des étrangers, de l’enfance coupable ou malheureuse, des miséreux, et choses de ce genre.


La légitimité n’est pas une notion première. Elle dérive de la justice. La justice exige avant tout, relativement au pouvoir, un équilibre entre le pouvoir et la responsabilité. La responsabilité ne peut s’exprimer que sous forme pénale.

Quiconque dispose du destin d’autres êtres humains a la possibilité de commettre continuellement des crimes ; s’il s’y laisse aller, ce sont les châtiments des criminels qui lui conviennent.

Un miséreux qui a faim et tire une carotte d’un champ est puni dans sa chair. Si cela lui arrive souvent, il est envoyé pour toute la vie dans un endroit de Guyane bien pire que celui réservé aux bagnards. Un chef de gouvernement qui par cruauté, ou par insensibilité, ou par haine, ou par inattention, ou par préjugé, cause injustement la mort ou le malheur définitif d’un être humain, ou de centaines, ou de milliers,