Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/90

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n’y a pas de constitution du tout. Tout le pouvoir appartient à l’Assemblée. Les précautions prises en faveur de la magistrature sont bien peu de chose. D’ailleurs, il est faux que dans le système actuel la magistrature constitue un pouvoir. Il n’y a pas de pouvoir judiciaire. Les juges ne font qu’exécuter automatiquement, avec une marge d’appréciation personnelle en réalité très faible, ce qui leur est ordonné par un mélange informe de textes provenant des rois, des deux Empires, du Parlement, et dénués de toute relation avec l’esprit ou la lettre de la Déclaration de 1789.

La meilleure preuve que le pouvoir judiciaire est inexistant, c’est que Daladier, peu avant la guerre, ait pu le traiter comme il a fait. Ses décrets-lois sur les étrangers prévoyaient qu’un étranger, frappé par la police ou les préfets d’un décret d’expulsion, et n’y obéissant pas (or l’obéissance était en fait impossible), devait être condamné à six mois de prison, sans que le tribunal pût accorder en aucun cas le sursis ni les circonstances atténuantes. Ainsi la police condamnait les gens à six mois de prison, par l’intermédiaire des magistrats réduits à n’être que des appareils enregistreurs. Pas un magistrat n’a protesté ; c’est donc qu’ils se sentaient faits pour ce rôle.

Il ne peut y avoir un pouvoir judiciaire que : 1o si les magistrats reçoivent une formation spirituelle ; 2o si on admet que le jugement en équité, inspiré de la Déclaration fondamentale, est la forme normale de jugement.

Dans ce projet, on ne prévoit d’engagement de fidélité à la Déclaration que pour les fonctions électives ou administratives. Et pourquoi pas pour celle de patron d’usine ? Et de magistrat ? Et de journaliste ? etc. Tout homme qui a le pouvoir de brimer ou de tromper des hommes doit être obligé à prendre l’engagement de ne pas le faire.