Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/89

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souveraine. Veut-on affirmer ce qui est désirable ? Il n’est pas désirable que la nation soit souveraine, mais uniquement la justice. Un mythe hindou dit que Dieu, voulant se manifester, créa la souveraineté. « Mais il ne se manifestait pas. » Il créa les classes sociales inférieures. « Il ne se manifestait toujours pas. » Alors il suscita une forme supérieure, la justice. « La justice est la souveraineté de la souveraineté. C’est pourquoi par la justice le faible atteint celui qui est très puissant, comme par une ordonnance royale. » (C’est quand même plus beau que le langage de 1789 !)

Ce qui est souverain en fait, c’est la force, qui est toujours aux mains d’une petite fraction de la nation. Ce qui doit être souverain, c’est la justice. Toutes les constitutions politiques, républicaines et autres, ont pour unique fin ― si elles sont légitimes ― d’empêcher ou au moins de limiter l’oppression à laquelle la force incline naturellement. Et quand il y a oppression, ce n’est pas la nation qui est opprimée. C’est un homme, et un homme, et un homme. La nation n’existe pas ; comment serait-elle souveraine ? Ces formules vides ont fait trop de mal pour qu’on puisse leur être indulgent.

La souveraineté ne réside pas longtemps dans la nation, puisqu’elle est « déléguée » à une assemblée ! Dès lors la souveraineté réside dans l’Assemblée. L’étrange est qu’il est légitime pour la nation de déléguer sa souveraineté à une Assemblée, mais on interdit à l’Assemblée de la déléguer à son tour. C’est donc qu’on pense que, par un décret éternel et mystérieux de la nature, la souveraineté est un attribut de la profession de parlementaire.

La probité obligerait à rédiger ainsi le début : « La souveraineté politique réside dans une Assemblée nationale élue… », etc.

Il n’y a pas trace ici de cette séparation des pouvoirs sans laquelle, d’après la Déclaration de 1789, il