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ôte à l’homme la félicité suprême. L’Amour est habile à trouver les remèdes. Il y a d’autres rapprochements à faire. Mais surtout l’Amour n’exerce ni ne subit de contrainte. Les rapports de Prométhée à Zeus sont de cette espèce, contrairement à ce que pourraient faire croire les clous et les chaînes, ils sont du type indiqué par des constructions grammaticales comme : ἑκόνθ’ ἑκόντι σπεύδων σπεύδοντι. Platon dit, lui aussi : ὲκὼν ἑκόντι.

Le caractère pythagoricien de la pensée qui inspire le drame d’Eschyle est marqué par plusieurs signes. Quand Prométhée explique comment son action a sorti les hommes de leur état de cauchemar confus, il énumère les connaissances qu’il leur a données. Ce sont, dans l’ordre du poète, la construction des maisons, le travail des briques et du bois, la connaissance des saisons, celle des astres, celles des nombres, celle des lettres, la domestication du cheval, la navigation à voile, la médecine, la divination, les sacrifices, le travail des métaux, bref, tous les arts. Dans cette énumération un peu confuse, le nombre est nommé ἔξοχον σοφισμάτων (exokhon sophismatôn), la sagesse qui dépasse toutes les autres. C’est une idée spécifiquement pythagoricienne.

Soit dit en passant, quoique la Bible dise, je crois, quelque part, que c’est la Sagesse qui a enseigné aux hommes le labourage et tous les métiers, de telles pensées sont aujourd’hui tout à fait absentes de chez nous. Pourtant, si on regardait toutes les techniques comme des dons du Christ, combien la vie n’en serait-elle pas transformée ?

Quand Prométhée parle de sa réconciliation avec Zeus, il emploie le mot ἀρθμόν (arthmon), union (v. 190), mot très rare et qui doit être ici une sorte de jeu de mots avec ἀριθμόν (arithmon), nombre. Quand il dit ὡς ερρύθμισμαι (hös erruthmismai), c’est certainement parce qu’Eschyle