Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par où passe l’Amour divin de Dieu pour soi-même. En aucun cas nous ne sommes autre chose. Mais si nous le savons et si nous y consentons, tout notre être, tout ce qui paraît en nous être nous-mêmes, nous devient infiniment plus étranger, plus indifférent et plus lointain que ce passage ininterrompu de l’Amour de Dieu.


N. B. — Il peut paraître surprenant de voir dans ces pages l’Incarnation présentée non pas comme destinée aux hommes, mais comme étant au contraire ce par rapport à quoi l’humanité a sa destination. Il n’y a aucune incompatibilité entre ces deux rapports inverses. On parle surtout du premier, pour une raison évidente, c’est que les hommes s’intéressent beaucoup plus à eux-mêmes qu’à Dieu. Le second est indiqué d’une manière claire et certaine par la phrase de saint Paul : « Dieu a voulu donner à son Fils beaucoup de frères. » Il est peut-être plus vrai encore que l’autre, car en tout Dieu est premier par rapport à l’homme. Il rend mieux compte peut-être des mystères de la vie humaine. Dans cet usage, il mènerait à des vues nouvelles sur notre destinée, et notamment sur les rapports de la souffrance et du péché. Les effets du malheur sur l’âme des innocents ne sont vraiment intelligibles que si l’on pense que nous avons été créés comme les frères du Christ crucifié. La domination absolue à travers tout l’univers d’une nécessité, mathématique, absolument sourde et aveugle, n’est intelligible que si on pense que l’univers entier dans la totalité de l’espace et du temps a été créé comme la Croix du Christ. C’est là le sens profond, probablement, de la réponse du Christ au sujet de l’aveugle-né et de la cause de son malheur.

L’effet principal du malheur est de forcer l’âme à crier