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again like to break, « si longtemps que son cœur fut près de se briser, et de nouveau encore près de se briser ». Il ne s’éveille pas, et à l’aube elle doit le quitter. Cela recommence une seconde nuit, puis une troisième. Alors, juste avant l’aube, le prince s’éveille, reconnaît sa véritable épouse et renvoie l’autre.


Ce conte représente aussi, à mon avis, la quête de l’homme par Dieu. Il contient aussi les deux moments de la capture de l’homme par Dieu. Le premier s’accomplit dans la nuit de l’inconscience, alors que la conscience de l’homme est encore tout entière animale et que son humanité est cachée en lui ; dès que Dieu veut la tirer au jour, l’homme s’enfuit, disparaît loin de Dieu, l’oublie et se prépare à une union adultère avec la chair. Dieu cherche l’homme avec peine et fatigue et arrive à lui comme un mendiant. Il séduit la chair au moyen de la beauté et obtient ainsi accès à l’âme, mais la trouve endormie. Un délai fini est accordé à l’âme pour s’éveiller. Qu’elle s’éveille un instant avant l’expiration de ce délai, reconnaisse Dieu et choisisse, elle est sauvée.

Le fait que le prince s’éveille seulement une minute avant la troisième et dernière aube indique qu’au moment décisif la différence entre l’âme qui se sauve et celle qui se perd n’est qu’un infiniment petit par rapport à tout le contenu psychologique de l’âme. C’est ce qu’indique aussi dans l’Évangile la comparaison du royaume de Dieu avec le grain de sénevé, le levain, la perle, etc., ainsi que le grain de grenade de Proserpine.

L’apparence misérable de la princesse, son entrée dans le palais comme fille de cuisine, indique que Dieu vient à nous complètement dépouillé non seulement de sa puissance, mais aussi de son éclat. Il vient à nous caché, et le salut consiste à le reconnaître.