Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/39

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mortels. Il est d’ailleurs rigoureusement vrai que cette union constitue notre pensée du temps, et que le temps reflète le mouvement circulaire des astres. Le temps est continu, mais on compte les jours et les années par nombres entiers. Pour comprendre qu’il ne s’agit pas là d’un thème de méditation pour intellectuels, mais d’une chose absolument essentielle pour tout homme, il suffit de se rappeler qu’un des supplices les plus affreux consiste à mettre un homme dans un cachot toujours complètement noir, ou au contraire dans une cellule toujours éclairée à l’électricité, sans jamais lui dire la date ni l’heure. Si on y pensait assez, on trouverait une joie profonde dans la simple succession des jours. Ces pensées étaient sûrement encore vivantes au temps de saint Benoît ; les règles monastiques ont entre autres destinations celle de rendre plus sensible le caractère circulaire du temps. C’est là aussi le secret de la vertu de la musique.

Les Pythagoriciens disaient, non pas union de la limite et de l’illimité, mais, ce qui est beaucoup plus beau, union de ce qui limite et de l’illimité. Ce qui limite, c’est Dieu. Dieu qui dit à la nier : Tu n’iras pas plus loin, etc… Ce qui est illimité n’a d’existence qu’en recevant du dehors une limite. Tout ce qui existe ici-bas est constitué ainsi, non seulement toutes les réalités matérielles, mais aussi toutes les réalités psychologiques en nous et en autrui. Dès lors il n’y a ici-bas que des biens et des maux finis. Les biens et les maux infinis que nous supposons exister en ce monde, et que nous plaçons d’ailleurs nécessairement dans l’avenir, sont absolument imaginaires. Le désir de bien infini qui habite à tout moment dans tous les hommes, même les plus dégradés, n’a d’objet que hors de ce monde, et la privation de ce bien est le seul mal qui ne soit pas limité. Placer la connaissance de