Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/43

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machine. Le mauvais goût général fait que les hommes, cultivés ou non, appliquent souvent très mal ces termes ; mais c’est une autre question. L’essentiel, c’est que le mot de beauté parle à tous les cœurs.

La seconde idée du Timée, c’est que ce monde, en même temps que le miroir de cet Amour qui est Dieu lui-même, est aussi le modèle que nous devons imiter. Car, nous aussi, nous avons été primitivement et nous devons redevenir des images de Dieu. Nous ne le pouvons que par l’imitation de l’Image parfaite qui est le Fils unique de Dieu et qui pense l’ordre du monde.

Cette idée de l’ordre du monde comme objet de contemplation et d’imitation peut seule faire comprendre quelle est la destination surnaturelle de la science. Rien n’est plus important aujourd’hui étant donné le prestige actuel de la science et la place qu’elle tient dans les pensées même des gens presque illettrés. La science dans toutes ses branches, de la mathématique à la sociologie, a pour objet l’ordre du monde. Elle ne le voit que sous l’aspect de la nécessité, toute considération de convenance ou de finalité devant être rigoureusement exclue, à l’exception de la notion même d’ordre universel. Plus la science est rigoureuse, précise, démonstrative, strictement scientifique, plus devient manifeste le caractère essentiellement providentiel de l’ordre du monde. Ce que nous appelons le ou les desseins, le ou les plans de la Providence, ce sont seulement des imaginations fabriquées par nous. Ce qui est authentiquement providentiel, ce qui est la Providence elle-même, c’est ce même ordre du monde qui est le tissu, la trame de tous les événements, et qui sous une de ses faces est le mécanisme impitoyable et aveugle de la nécessité. Car une fois pour toutes la nécessité a été vaincue par la sage persuasion de