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d’Adam et Ève, qui voulaient être comme Dieu). Zeus voulut punir les hommes, mais sans aller jusqu’à les détruire, car en ce cas les honneurs et le culte rendus par les hommes aux dieux auraient disparu.

C’est la même raison aussi qui, dans l’hymne éleusinien à Déméter, pousse Zeus à céder à Déméter quand elle menace d’arrêter la croissance du blé et de faire mourir les hommes de faim. Cela rappelle la résolution que prend Dieu dans la Genèse, après le premier sacrifice de Noé, d’épargner désormais les hommes. Il est ainsi indiqué clairement que, si l’homme, malgré sa médiocrité et son insolence, a licence d’exister, c’est uniquement parce que Dieu veut être aimé par lui. C’est le sacrifice qui est l’unique fin de l’homme. Dieu laisse l’existence à l’homme pour que l’homme ait la possibilité d’y renoncer par amour pour Dieu.

Zeus voulant châtier l’homme sans le détruire, le coupe en deux. Les anciens pratiquaient beaucoup le procédé qui consiste à couper en deux un anneau, une pièce de monnaie, ou tout autre objet, et de donner une moitié à un ami ou à un hôte. Ces moitiés étaient conservées de part et d’autre de génération en génération et permettaient aux descendants de deux amis de se reconnaître après des siècles.

Un tel signe de reconnaissance se nommait symbole. C’est le sens primitif du mot. En ce sens, Platon dit que chacun de nous est non pas un homme, mais le symbole d’un homme, et cherche le symbole correspondant, l’autre moitié. Cette recherche, c’est l’Amour. L’Amour en nous c’est donc le sentiment de notre insuffisance radicale, conséquence du péché, et le désir, issu des sources mêmes de l’être, d’être réintégrés dans l’état de plénitude. L’Amour est donc bien le médecin de notre mal