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théorie rend parfaitement compte de la beauté incomparable, jamais égalée, de la sculpture grecque, celle d’avant Phidias. Les statues sont faites de telle manière que la pierre semble une substance fluide qui a coulé par nappes et s’est ensuite figée dans un parfait équilibre. La parenté entre la fluidité et l’équilibre vient de ce que le fluide ne peut être rendu immobile que par l’équilibre, au lieu que le solide est maintenu par une cohérence interne. Le fluide est ainsi la parfaite balance, comme Archimède devait le démontrer. Ce passage de Platon et quelques autres semblent indiquer qu’on connaissait déjà en ce temps les théories mécaniques dont nous possédons, sous le nom d’Archimède, un exposé rigoureusement géométrique. C’est d’ailleurs bien naturel. La proportion et la beauté étaient inséparables aux yeux des Grecs, et par suite, ce qui était fluide devait toujours et partout être beau. Ces quelques lignes de Platon et leur concordance merveilleuse avec l’aspect des statues grecques fait voir combien, à cette époque, l’art était indissolublement lié, non pas simplement dans son inspiration, mais dans le secret le plus intime de sa technique, avec la religion et la philosophie et, par leur intermédiaire, avec la science. Nous avons perdu cette unité, nous dont la religion devrait être plus incarnée qu’aucune autre. Nous devons la retrouver.

Les lignes concernant l’Amour et les fleurs font penser au Cantique des Cantiques : « Mon bien-aimé se nourrit parmi les lis. »


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Le plus important, c’est que l’Amour ne fait ni ne subit d’injustice, soit parmi les dieux soit parmi les hommes. Car lui, il ne souffre pas par force, quand il lui arrive de souffrir, car la force n’atteint pas l’Amour. Et quand il agit, il n’agit pas par force, car chacun consent à obéir en tout à