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guerres entre dieux dans les généalogies hésiodiques, elles n’auraient pas eu lieu, dit-il, si l’Amour avait été là, lui qui est le pacificateur des dieux ; « mais il y aurait eu amitié et paix, comme à présent, depuis que l’Amour règne sur les dieux ».


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φιλία καὶ εἰρήνη ⟨ᾖν⟩, ὥσπερ νῦν, ἐξ οὗ Ἔρως τῶν θεῶν βασιλεύει (philia kai eirênê ên hôsper nun ex hou Erôls tôn thêon basileuei).


On ne voit pas d’abord l’intérêt d’un tel argument, vu que nulle part dans son œuvre, Platon n’indique qu’il attache de l’importance à ces légendes hésiodiques. Mais dans la tragédie d’Eschyle, Prométhée met fin à la guerre de Zeus et des Titans et installe Zeus sur le trône. Il dit aussi : « Quel autre que moi a délimité pour ces dieux nouveaux leurs privilèges ? » Et Agathon dit plus loin que c’est l’Amour qui a appris à chaque Dieu à exercer sa fonction propre. Remarquer qu’en nommant ici l’Amour roi des dieux Agathon en fait l’égal de Zeus ; cela ne s’oppose qu’en apparence au rapprochement avec Prométhée, rapprochement que Platon semble bien avoir voulu indiquer.

Ce que dit Platon de la fluidité de l’Amour, qui imprègne toute l’âme tout en passant d’abord inaperçu, est à rapprocher des comparaisons de l’Évangile entre le royaume des cieux et le levain, le grain de sénevé, le sel, etc… Il s’agit toujours de cette conception capitale que le surnaturel dans la nature est à la fois infiniment petit et infiniment agissant.

La relation indiquée par Platon entre la beauté de la forme, la proportion et la fluidité est extrêmement remarquable. C’est apparemment une simple allusion à une théorie qu’il suppose de ses lecteurs. Or cette