Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/64

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suffirait de joies un peu plus grandes que celles que nous avons connues jusqu’ici. Si on s’abandonne à l’amour, si on accepte pour lui d’avoir toujours en soi un vide jamais comblé, on a la perfection de la retenue.

Au reste, le mot de retenue comme celui de tempérance est très insuffisant pour traduire σωφροσὐνη (sophrosunê), terme beaucoup plus fort et plus beau. C’est ce terme qui est constamment employé dans l’Hippolyte d’Euripide pour désigner la chasteté virginale et parfaite. Pureté serait peut-être mieux.


196 d

Et quant à la vaillance, Arès lui-même ne peut pas tenir tête à l’Amour. Car ce n’est pas Arès qui tient l’Amour, c’est l’Amour d’Aphrodite qui lient Arès, à ce qu’on dit. Celui qui tient est plus fort que celui qui est tenu. Celui qui maîtrise, celui qui est le plus vaillant de tous doit être absolument vaillant.


Ceci semble une plaisanterie, mais c’est une apparence. Il est clair qu’Arès ne tient pas l’Amour, puisque la force n’atteint pas l’Amour. L’Amour tient Arès. C’est-à-dire que la vaillance guerrière (et toutes les formes analogues de vaillance aussi) a besoin d’un amour qui l’inspire. Un amour bas inspire un courage bas, un amour absolument pur inspire une vaillance absolument pure. Mais sans amour il n’y a que lâcheté. L’amour n’exerce jamais la force, il n’a pas d’épées en mains, et pourtant il est la source où ceux qui tiennent le glaive puisent leur vertu. Il contient en lui cette vertu sous sa forme éminente. Il contient en lui tout ce qui dans la vaillance est autre chose que la brutalité de la force armée. On ne sait pas l’imiter, aussi longtemps qu’on ne possède pas davantage de valeur guerrière que les guerriers, et cela sans être guerrier.


196 d

Reste ce qui concerne la sagesse… Ce Dieu est si savant