Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/63

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sion qui se sert de ressorts psychologiques. N’user d’aucune espèce de contrainte ni envers autrui ni envers soi-même hors du domaine de l’obligation stricte, et ne souhaiter aucune espèce de puissance ou de prestige, même en vue du bien, c’est aussi une forme de la vertu d’obéissance. Hors de ce qui est strictement obligatoire, il faut seulement que ce qu’il y a de meilleur dans un être humain, le reflet de Dieu en lui, ou plutôt l’orientation de son désir vers Dieu, agisse par rayonnement, comme une inspiration, sur lui-même et ceux qui l’approchent. Telle est la manière propre d’agir de l’Amour divin, que nous devons imiter.


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En plus de la justice, il a le plus haut degré de retenue. Car on s’accorde à définir la retenue comme la maîtrise des plaisirs et des désirs, et à dire qu’aucun plaisir n’est plus fort que l’Amour. S’ils sont moins forts, ils sont maîtrisés par l’Amour et lui les maîtrise. S’il est maître des plaisirs et des désirs, l’Amour plus que tout être possède la retenue.


Encore quelques lignes merveilleusement profondes. Nous ne sommes enivrés que par les plaisirs qui comblent, et au delà, jusqu’à déborder, les désirs qui nous poussent vers eux. Il y a alors ivresse puis rassasiement et dégoût, presque haine, puis de nouveau désir. Mais l’Amour est le désir essentiel, infini, absolu, qu’aucune joie ne peut remplir jusqu’à déborder. Même en Dieu, la joie infinie qui comble infiniment et le désir infiniment insatiable de l’Amour existent ensemble. Quant à nous, nous n’avons d’infini en nous que ce désir central. Nos joies ne peuvent être que finies, et le désir de l’Amour en nous les consume et les brûle à mesure qu’elles se produisent. Nous ne pouvons être intempérants que par erreur, quand nous croyons que pour nous rassasier il