Ce qu’on nomme généralement égoïsme n’est pas amour de soi, c’est un effet de perspective. Les gens nomment un mal l’altération d’un certain arrangement des choses qu’ils voient du point où ils sont ; de ce point, les choses un peu lointaines sont invisibles. Le massacre de cent mille Chinois altère à peine l’ordre du monde tel qu’ils le perçoivent, au lieu que si un voisin de travail a eu une légère augmentation de salaire et non pas eux, cet ordre est bouleversé. Ce n’est pas amour de soi, c’est que les hommes étant des êtres finis n’appliquent la notion d’ordre légitime qu’aux environs immédiats de leur cœur.
Ils ont le pouvoir de transporter leur cœur en choisissant quelque part un trésor. Il n’est pas si rare de voir un homme absolument dévoué à un autre homme, connu ou non de lui personnellement, à une femme, à un enfant, à un parti, à une nation, à une collectivité quelconque, à n’importe quelle cause. On ne peut dire alors qu’il est égoïste. Mais le mécanisme des erreurs de perspective reste le même, et les erreurs restent aussi graves. Un tel dévouement n’est pas plus élevé, est à peine plus élevé que ce qu’on nomme égoïsme.
Pour échapper aux erreurs de perspective, le seul moyen est de choisir son trésor et de transporter son cœur hors de l’espace, hors du monde, en Dieu.
La principale image employée par Platon dans la République, notamment dans le passage de la caverne, l’image du soleil et de la vue, fait voir exactement ce qu’est l’amour dans l’homme. On ferait un contresens complet en croyant que la métaphore de la caverne se rapporte à la connaissance et que la vue signifie l’intelligence. Le soleil est le bien. La vue est donc la faculté qui a rapport au bien. Platon, dans le Banquet, dit aussi