La formation (de l’âme) ne ressemble pas à ce qu’on prétend qu’elle est. Car ils affirment qu’ils mettront dans l’âme une connaissance qui n’y est pas innée, comme s’ils mettaient la vue dans des yeux aveugles. Mais la doctrine que je t’expose enseigne que la faculté de comprendre est innée dans l’âme de chacun, et aussi l’organe de cette faculté. C’est comme si quelqu’un était incapable de diriger l’œil vers la lumière, loin des ténèbres, sinon en même temps qu’avec le corps tout entier. De même c’est avec l’âme tout entière qu’il faut se détourner de ce qui se passe jusqu’à ce qu’elle devienne capable de supporter la contemplation de la réalité et de ce qu’il y a de plus lumineux dans la réalité ; cela nous avons dit que c’était le bien.
C’est en quoi consiste cet art, l’art de la conversion, c’est la méthode la plus facile et la plus rapide de faire que quelqu’un se retourne. Il ne s’agit pas de produire en lui la vue, on sait qu’il l’a déjà. Mais il ne la dirige pas bien et ne regarde pas où il faut. C’est cela qu’on doit trouver moyen d’obtenir.
Il y a ici encore ce mot μηχανή (mêchanê) qui revient si souvent dans Platon et dans la tragédie là où il est question de salut et de rédemption.
Le mot du Banquet : « Ma doctrine est que l’amour n’a pour objet ni la moitié ni le tout de soi-même… il n’y a rien qu’aiment les hommes, sinon le bien », est une parole très profonde. Elle détruit la notion fausse d’égoïsme. Les hommes ne sont pas égoïstes. Ils ne peuvent pas l’être. Leur malheur est de ne pas pouvoir l’être. Dieu seul est égoïste. Un homme ne peut parvenir à quelque ombre d’amour de soi que lorsqu’il sait se voir comme créature de Dieu, aimé par Dieu, racheté par Dieu. Autrement, un homme ne peut pas s’aimer soi-même.