Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/86

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plement très proches de la justice, ils y ont une très grande part. Mais pour qu’un homme « ne diffère en rien de la justice en soi », soit en tous égards la même chose qu’elle, « il faut que la Justice divine descende sur terre de par delà le ciel, μηδὲν αὐτῆς ἐκείνης διαφέρειν… ἀλλὰ πανταχῇ τοιοτοῦν εἶναι οἶον δικαιοσύνη ἐστιν (mêden autês ekeinès diapherein alla pantachê toiouton einai hoion dikaiosunê estin).

Platon se refuse avec raison à démontrer que pareille chose soit possible. Mais on ne peut douter de sa pensée intime à ce sujet, si on se souvient que le centre de son inspiration est la preuve ontologique, la certitude que le parfait est plus réel que l’imparfait.

Le modèle des hommes à peu près justes ne peut être qu’un homme parfaitement juste. Les hommes à peu près justes existent. Si leur modèle est réel, il doit avoir l’existence terrestre, en un point de l’espace, en un moment du temps. Il n’y a pas d’autre réalité pour un homme. S’il ne peut avoir cette existence, il n’est qu’une abstraction. Est-il acceptable qu’une abstraction constitue le modèle et la perfection d’être réels ?

Il faut bien faire attention que Platon affirme nettement que la justice en soi n’est pas un modèle suffisant. Le modèle de la justice pour les hommes, c’est un homme juste.

C’est lui sans doute qui est aussi le modèle divin et bienheureux du Théetète. Quand Platon parle d’assimilation à ce modèle, le mot d’assimilation a le sens que nous lui donnons aujourd’hui, il s’agit de ressemblance. Seulement le sens est plus rigoureux, il s’agit d’une ressemblance telle qu’elle existe entre deux cartes géographiques à deux échelles différentes, où les distances sont différentes, mais les rapports identiques. Car le mot assimilation,