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contemple avec amour l’ordre du monde parviendra un jour au moment où soudain il contemplera autre chose, un beau d’une espèce miraculeuse.

Dans la voie que trace ici Platon, il n’est pas question de Dieu tant que le contact réel n’a pas été établi par l’expérience mystique, ni même alors, sinon par allusion. C’est la grande différence avec la voie chrétienne, dans laquelle on parle de Dieu longtemps avant d’avoir le moindre soupçon de ce que ce mot signifie. L’avantage est que ce mot par lui-même a un pouvoir, l’inconvénient est que l’authenticité est moindre. En tout cas, la différence ne doit pas faire méconnaître l’identité essentielle.


Dans tous les textes précédents, Platon parle de Dieu dans son rapport avec la création ou avec l’homme. Mais il y en a un où il décrit la joie parfaite et infinie en Dieu. C’est dans le Phèdre.



Phèdre, 246 e, 247 c, 247 d, 247 e


Le grand souverain, Zeus, conduisant son char ailé, s’avance le premier, veillant à l’ordre de toutes choses. Il est suivi par l’armée des dieux et demi-dieux disposée sur onze rangs. Car Hestia seule reste dans la demeure des dieux… Quiconque le veut et le peut vient à la suite, car l’envie n’a pas place dans le chœur des dieux. Quand ils vont au repas, au festin, ils s’avancent jusqu’à l’extrême sommet du ciel et ils y montent… Les âmes de ceux qu’on nomme immortels arrivées au sommet, s’avancent dehors, se tiennent debout sur le dos du ciel et debout se laissent porter par la révolution circulaire en regardant ce qui est hors du ciel.

Le lieu hors du ciel, nul poète ici-bas ne l’a chanté ni ne le chantera dignement. Voici comment il est. L’essence sans couleur, sans forme, sans rien qu’on puisse toucher, et réelle, ne peut être contemplée que par le maître de l’âme,