Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/156

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conserver comme des trésors trop rares et infiniment précieux, à arroser comme des plantes malades.

Peu importe que le gouvernement de Vichy ait mis en avant une doctrine régionaliste. Son seul tort en la matière est de ne pas l’avoir appliquée. Loin de prendre en toutes choses le contre-pied de ses mots d’ordre, nous devons conserver beaucoup des pensées lancées par la propagande de la Révolution Nationale, mais en faire des vérités.

De même, les Français dans leur isolement même ont acquis le sentiment que la France est petite, qu’enfermé à l’intérieur on étouffe, et qu’il faut davantage. L’idée de l’Europe, de l’unité européenne, a fait beaucoup pour le succès de la propagande collaborationniste dans les premiers temps. Ce sentiment aussi, on ne saurait trop l’encourager, l’alimenter. Il serait désastreux de l’opposer à la patrie.

Enfin on ne saurait trop encourager l’existence de milieux d’idées ne constituant pas des rouages de la vie publique ; car à cette seule condition ils ne sont pas des cadavres. C’est le cas des syndicats, s’ils ne sont pas chargés de responsabilités quotidiennes dans l’organisation économique. C’est le cas des milieux chrétiens, protestants ou catholiques, et plus particulièrement d’organisations comme la J. O. C. ; mais un État qui succomberait le moins du monde à des velléités cléricales les tuerait à coup sûr. C’est le cas de collectivités surgies après la défaite, les unes officiellement, Chantiers de Jeunesse, Compagnons, les autres clandestinement, à savoir les groupes de résistance. Les unes ont un peu de vie malgré leur caractère officiel, par un concours exceptionnel de circonstances ; mais si on leur conservait ce caractère elles mourraient. Les autres sont nées de la lutte contre l’État, et si l’on succombait à la tentation de leur donner une existence officielle dans la vie publique, cela les ravagerait moralement à un degré terrible.

D’un autre côté, si des milieux de cette espèce sont à l’écart de la vie publique, ils cessent d’exister. Il faut donc qu’ils n’en fassent pas partie et ne soient pas non plus à l’écart. Un procédé à cet effet pourrait être, par exemple, que l’État désigne fréquemment des hommes choisis dans ces milieux pour des missions spéciales, à titre temporaire. Mais il faudrait d’une part que l’État