Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/253

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qui peuvent par analogie donner une notion du vouloir de Dieu. Le poète est une personne ; pourtant dans les moments où il touche à la perfection poétique, il est traversé par une inspiration impersonnelle. C’est dans les moments médiocres que son inspiration est personnelle ; et ce n’est pas alors vraiment de l’inspiration. En se servant de l’inspiration poétique comme d’une image pour concevoir par analogie le vouloir de Dieu, il ne faut pas en prendre la forme médiocre, mais la forme parfaite.

La Providence divine n’est pas un trouble, une anomalie dans l’ordre du monde. C’est l’ordre du monde lui-même. Ou plutôt c’est le principe ordonnateur de cet univers. C’est la Sagesse éternelle, unique, étendue à travers tout l’univers en un réseau souverain de relations.

C’est ainsi que l’a conçue toute l’antiquité pré-romaine. Toutes les parties de l’Ancien Testament où a pénétré l’inspiration universelle du monde antique nous en apportent la conception enveloppée d’une splendeur verbale incomparable. Mais nous sommes aveugles. Nous lisons sans comprendre.

La force brute n’est pas souveraine ici-bas. Elle est par nature aveugle et indéterminée. Ce qui est souverain ici-bas, c’est la détermination, la limite. La Sagesse éternelle emprisonne cet univers dans un réseau, dans un filet de déterminations. L’univers ne s’y débat pas. La force brute de la matière, qui nous paraît souveraineté, n’est pas autre chose en réalité que parfaite obéissance.

C’est là la garantie accordée à l’homme, l’arche d’alliance, le pacte, la promesse visible et palpable ici-bas, l’appui certain de l’espérance. C’est là la vérité qui nous mord le cœur chaque fois que nous sommes sensibles à la beauté du monde. C’est la vérité qui éclate avec d’incomparables accents d’allégresse dans les parties belles et pures de l’Ancien Testament, en Grèce chez les Pythagoriciens et tous les sages, en Chine chez Lao-Tseu, dans les écritures sacrées hindoues, dans les fragments égyptiens. Elle est peut-être cachée dans d’innombrables mythes et contes. Elle apparaîtra devant nous, sous nos yeux, dans notre propre science, si un jour, comme à Agar, Dieu nous dessille les yeux.

On la discerne à travers les paroles mêmes dans lesquelles Hitler affirme l’erreur contraire : « …dans un monde où les planètes et les soleils suivent des trajectoires circulaires, où des