Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/252

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temps un événement qui serait comme un atome ; mais l’infirmité du langage humain oblige à parler comme si on le pouvait.

Tous les événements qui composent l’univers dans la totalité du cours des temps, chacun de ces événements, chaque assemblage possible de plusieurs événements, chaque relation entre deux événements ou davantage, entre deux assemblages d’événements ou davantage, entre un événement et un assemblage d’événements — tout cela, au même degré, a été permis par le vouloir de Dieu. Tout cela, ce sont les intentions particulières de Dieu. La somme des intentions particulières de Dieu, c’est l’univers lui-même. Seul ce qui est mal est excepté, et cela même doit être excepté non pas tout entier, sous tous les rapports, mais uniquement pour autant que cela est mal. Sous tous les autres rapports, cela est conforme au vouloir de Dieu.

Un soldat frappé d’une blessure très douloureuse, et empêché par elle de prendre part à une bataille où tout son régiment est massacré, pourra croire que Dieu a voulu, non lui causer de la douleur, mais lui sauver la vie. C’est là une extrême naïveté et un piège de l’amour-propre. Dieu a voulu et lui causer de la douleur et lui sauver la vie et produire tous les effets qui en fait se sont produits, mais non pas l’un d’entre eux davantage qu’un autre.

Il n’y a qu’un cas où il soit légitime de parler de vouloir particulier de Dieu ; c’est quand surgit dans une âme une impulsion particulière qui porte la marque reconnaissable des commandements de Dieu. Mais il s’agit alors de Dieu en tant que source d’inspiration.

La conception actuelle de la Providence ressemble à l’exercice scolaire qu’on nomme explication française, quand il est exécuté par un mauvais professeur sur un texte poétique parfaitement beau. Le professeur dira : « Le poète a mis tel mot pour obtenir tel effet. » Cela ne peut être vrai que pour la poésie de deuxième, dixième ou cinquantième ordre. Dans un fragment poétique parfaitement beau, tous les effets, toutes les résonances, toutes les évocations susceptibles d’être amenés par la présence de tel mot à telle place, répondent au même degré, c’est-à-dire parfaitement à l’inspiration du poète. Il en est de même pour tous les arts. C’est ainsi que le poète imite Dieu. L’inspiration poétique à son point de suprême perfection est une des choses humaines